jeudi 13 décembre 2018

Comment survivre aux Fêtes ?



Sérieux, on y pense à chaque année. Période de réjouissance et d’amour, certes, mais aussi de course contre la montre, de frictions familiales, de déceptions et, à partir d’un certain âge, de souvenirs tristes et joyeux qui s’entremêlent.
            Comment survivre à ce compte à rebours de l’avent, à cette impression tenace que l’on va arriver à Noël en ayant oublié un cadeau ou avec un sapin à moitié décoré ou, pire encore, que l’on va manquer d’alcool le soir du réveillon alors que c’est nous qui recevons ?
            Comment survivre à cette pression que l’on s’impose de faire vivre à nos enfants, à chaque fois, leur plus beau Noël, pour qu’ils aient des souvenirs magiques de graver dans leur mémoire à tout jamais ?
            Comment survivre à cette culpabilité qui nous tenaille en cette ère du pacte pour la transition énergétique, alors qu’on achète, qu’on emballe et qu’on décore à profusion ?  Comment pouvoir continuer d’agrémenter nos cadeaux de choux et de rubans multicolores sans penser que, en même temps, nous sommes en train de détruire la planète, un emballage à la fois ?
Comment survire aux adaptes de la simplicité volontaire qui proposent l’angoissant cadeau que l’on fabrique soi-même ? Comment survivre aux cadeaux que l’on reçoit qui sont à mille lieux de nos intérêts ? (Ah wow ! Le beau service à thé…ben non…je ne bois pas de thé).  Comment survivre à la face mitigée de ton beau-frère devant sa lampe de poche multifonction qui trouve que franchement tu ne t’es pas beaucoup forcé cette année ?
Comment survivre à toute cette bouffe et tout cet alcool que l’on ingère sans trop savoir pourquoi ? Comment survivre au Pepto-bismol, aux Advil et à tous ses microbes que l’on s’échange ?
Comment survivre à celui qui arrive toujours en retard et qui emballe ses cadeaux avec les restants des autres ?  Comment survivre aux bougonneux de Noël qui hurlent à la surconsommation, à la fête commerciale, mais qui s’attendent tout-de-même à recevoir un cadeau ou deux ou que l’on voit sourire en secret en regardant scintiller les lumières de Noël ?  Comment survivre à celui qui en fait toujours trop, de la musique aux tuques de Père-Noël, aux cadeaux qui n’en finissent plus ?
Comment survivre au spectacle affligeant de voir sa famille vieillir à chaque année ?  Comment survivre à sa tante alzheimer encore plus perdue que l’an dernier, à son grand-papa qui s’étouffe de plus en plus facilement, à ce jeune oncle si beau autrefois devenu grisonnant et bedonnant, à sa petite cousine, une si mignonne petite fille devenue une adolescente maussade et déprimée ?  Comment survivre à ces mêmes anecdotes, racontées encore et encore, années après années ?  Comment survivre à ces jeunes gens, devenus parents, désemparés devant leur bébé qui refuse de dormir ?
Comment survivre aux Fêtes ? Peut-être en se rappelant qu’il s’agit là d’un temps privilégié pour voir sa famille, malgré les frictions et les imperfections, et que cela signifie, qu’au moins, nous ne sommes pas seuls.

jeudi 6 décembre 2018

Solitude





Pourquoi est-ce que je pense à la solitude en ce moment ? Pourquoi ce sentiment commence à m’habiter là, maintenant, furtivement, avant de repartir ?  Probablement parce que les fêtes approchent et que je me dis qu’il n’y a rien de pire au monde que d’être seul la veille de Noël, bien que je sois persuadée qu’il vaille mieux être seul que mal accompagné.
Y-a-t-il deux solitudes, la bonne et la mauvaise ? Je ne sais pas, probablement.  La bonne étant celle qu’on apprécie, la mauvaise étant celle qui nous fait souffrir.
Pour ma part, les deux ont toujours cohabitées en moi, l’une prenant parfois le dessus sur l’autre.
Les moments où je suis seule sont pour l’instant précieux, mais je suis à une étape de ma vie où je suis constamment entourée : un conjoint de fait, deux enfants encore jeunes, une carrière qui bat son plein.  Alors, quand mes vendredis de congé se pointent le bout du nez et qu’il n’y a pas de journée pédagogique en vue, je respire le bonheur.  Je savoure chaque heure, chaque minute de cette journée en tête-à-tête avec moi-même.  J’aime ne pas avoir à parler à personne (je ne réponds bien évidemment pas au téléphone lors de cette journée, le texto, tout au plus), j’aime ne pas avoir à donner des consignes (et à les répéter), ne pas avoir à m’expliquer, ne pas avoir à informer d’où je suis, ne pas avoir à discuter de sujets sérieux, ne pas avoir à répondre à des questions (allant de Maman où sont mes mitaines ? à À quoi tu penses, chérie ? ou Qu’est-ce qu’on mange pour souper ?).  J’aime avoir la tête tranquille pour penser et rêvasser sans jamais être interrompue.  J’aime le calme de la solitude, l’apaisement du silence.  J’aime être la seule à déplacer des objets dans ma maison.  J’aime ne pas avoir à faire de compromis.  J’aime savoir qu’il n’y a aucun regard qui se pose sur moi et la liberté que cela me procure.
Souvent, pendant une fête ou un grand rassemblement, je deviens étourdie d’avoir plein de monde autour de moi.  L’instant où je me retrouve seule au cabinet en devient alors un de grand bonheur.  Je m’assois, je fais ce que j’ai à faire et je relaxe.  Je reste assise là, sur le bol, à regarder autour de moi, à reprendre mon souffle.  J’en profite également pour me gratter à des endroits pas toujours élégants, pour desserrer mon soutien-gorge, pour enlever mes souliers, pour me ronger un ongle ou deux.  Je fais les cent pas dans la salle de bain, je feuillette une revue s’il y en a, je me lave les mains deux fois plutôt qu’une.  Je me ressource un pipi à la fois.  Pendant ce court moment, je n’ai plus à chercher quoi dire, quoi faire, vers qui me tourner, je n’ai plus à me questionner à savoir si j’en ai dit trop ou pas assez.
Mais la solitude n’a pas toujours été que du bonheur pour moi, elle a aussi été souffrance.  À plusieurs moments dans ma vie, je me suis sentie bien seule, et ce, dès l’enfance.  Je me suis souvent sentie différente des autres.  Je m’habillais bizarre, je me parlais toute seule, j’habitais sur une ferme avec des vaches et des mouches.  Mes parents n’étaient pas comme les autres.  D’abord, ils n’étaient pas mariés.  Ensuite, mon père avait des projets pour le moins singuliers (acheter un incubateur pour élever des dindons sauvages) et ma mère pouvait parler de sexualité de façon tout-à-fait décomplexée avec mes amies.  À l’adolescence, j’avais l’impression d’évoluer plus lentement que les autres ce qui créait un immense faussé entre moi et eux.  N’y a-t-il pas plus grande solitude que de se sentir seule parmi les autres ?  Je n’arrivais pas à me trouver un groupe d’appartenance (si au moins j’avais eu une quelconque aptitude sportive j’aurais pu faire partie d’une équipe…).  J’en ai eu des vendredis soirs tristes.
Mais revenons à Noël.  Je sais qu’un jour, proche ou lointain, cela va se produire, je le sais qu’un certain 24 décembre 2000 quelque chose, je serai seule. Quel genre de solitude ce sera ? Apaisante ? Angoissante ?
Mon père nous a dit cette phrase à ma sœur et moi avant de mourir : « Les filles, ne vieillissez pas seules ».  Et je ne peux m’empêcher de penser que personne n’est à l’abri de cela, quoi que l’on fasse.   

jeudi 29 novembre 2018

Trop


Il y a trop de tout.  Trop de choix, partout, tout le temps.  Il me semble que je n’ai pas de besoin d’avoir autant d’options.  Je n’ai pas besoin d’avoir accès à une si grande variété d’affaires et de cossins. Je me sens souvent submergée, envahie par tous ces choix possibles. 
Les épiceries à grandes surfaces sont mon pire cauchemar.  Je préfère de loin ma petite épicerie de campagne avec ses choix limités et coûteux, certes, mais d’où l’on peut être sortis en moins d’une heure. Dans une grande surface, le simple fait d’avoir à choisir une sorte de barres tendres pour les collations de mes enfants relève du sport extrême.  Il y en a presqu’une allée complète, du plancher au plafond, dans une multitude de marques, de saveurs, de formats.  Il y a des barres tendres aux brisures de chocolat, aux brisures de chocolat et arachides, aux brisures de chocolats et bananes, aux brisures de chocolat et caramel, aux brisures de chocolat et arachides et bananes et caramel, il y a le mélange du randonneur, le mélange du campagnard, le mélange du montagnard, il y en a avec du yogourt, avec des fruits, avec pas de noix,…Là, je les regarde toutes et je commence à avoir le tournis, j’essaye de comparer les prix en regard du nombre de grammes et  d’analyser les spéciaux de la semaine, en vain. Je ne sais plus à quelle barre tendre me vouer et là je ne vous parle même pas de me mettre à lire la liste des ingrédients ou le tableau des valeurs nutritives pour tenter un choix santé et éclairé. Je me mets à voir embrouillé et les mots sans gluten, ne contenant pas d’arachides, 25% plus léger, fait avec des vrais fruits, 100% bio, se promènent et dansent devant mes yeux.
Le même scénario se répète lorsque j’entre dans un magasin de jouets durant le temps des fêtes.  Trop. Trop. Trop.  Beaucoup trop de sortes de Lego, de formats, de tranches d’âges (pour un enfant de 7 ans, est-ce que je prends les 4 -7 ans, les 6-12 ans ou les 7-14 ans ?).  Trop de jeux de société.  Chaque marque ayant sa propre version d’un concept de base, chaque classique se déclinant de multiples façons, chacun tentant d’exploiter au maximum la tendance du moment (jeu de mémoire Pat Patrouille, jeu des sept familles Pat Patrouille, jeu de bingo Pat Patrouille, jeu de serpents et échelles Pat Patrouille, etc.).  Trop de livres.  Trop de livres d’animaux.  Trop de livres de dinosaures. Trop de bandes dessinées.  Trop de rééditions, de versions allongées, de hors-séries, etc.  Trop de beaux jouets en bois qui seraient dont beaux dans mon salon.  Trop de jouets débiles qui me laissent estomaquée.  « Ben non, je ne peux pas croire qu’on est rendu là ».  Ça c’est ce que je me dis quand je vois un coussin en forme d’émoji de caca ou les jouets des Trash Pack (des genres de personnages inspirés de ce que l’on trouve dans les vidanges).
Aussi, je me suis récemment abonnée à Netflix.  Encore trop.  Trop de téléséries possibles à suivre, ben à binge watcher, je veux dire.  Alors, mes soirées se passent souvent ainsi : j’ouvre Netflix, je me dis que je vais me trouver une bonne télésérie à regarder et finalement, après 40 minutes, je suis encore en train de zaper à la recherche de la perle rare et je n’ai toujours rien écouté.  Je finis par me lasser de toutes ces descriptions et bandes annonces, je ferme donc le tout et  je m’en vais me coucher en me disant que je viens de perdre une heure de ma précieuse vie et en regrettant presque l’époque où j’avais le choix entre radio-canada et télémétropole avec de la neige.
Enfin, il y a aussi trop choix de relations.  On peut être en couple tout court.  Ou en couple ouvert.  On peut être des amis tout court.  Ou des amis plus.  Ou des amis plus plus.  On peut être des amants.  Ou des amants juste en attendant que.  On peut avoir des enfants ensembles et ne pas être un couple.  On peut être des colocs.  Ou des colocs qui couchent ensemble.  Ou des amis-colocs-amants-mais-pas-tout-le-temps.  On peut être des amis l’été, des amants l’automne et un couple l’hiver quand il fait froid.  On peut être hétéro, homo, bi, queer, fluide.  On peut être en relation à 2,3, 4 ou10.  On peut être plus ou moins amis, plus ou moins amants, plus ou moins ensemble.  
Mais, je le sais, peut être que je me plein le ventre plein.  Peut-être sommes-nous juste chanceux, à notre époque, d’avoir autant de choix, de possibilités, d’être libres d’aller vers ce qui nous ressemble vraiment ?
Mais, je ne peux m’empêcher de penser que trop, c’est comme pas assez…

jeudi 22 novembre 2018

En voyage avec le père TOC




*Avertissement* Pour mieux comprendre ce texte, lisez le blog TOC, mon amour
            À chaque année, c’est pareil, vient le moment où mon chum et moi nous mettons à penser à nos vacances d’été (ben oui, avant le congé des fêtes, c’est comme ça, tsé on commence déjà à être fatigués, et qu’est-ce qu’il y a d’autre à faire en novembre que de penser à ses vacances d’été ?).  Et, à chaque année, mon chum me ressort la même phrase : « Ah moins qu’on reste ici pis qu’on fasse des choses à la maison ? »  Ark…ben non.  À chaque année je lui réitère donc que le petit voyage d’été c’est non-négociable, indispensable à ma santé mentale, que s’il souhaite passer l’été à la maison, mieux vaut alors qu’il change de blonde.  Et là, il sourit.  Il le sait bien, après 18 années de vie commune, que je veux partir en voyage l’été, mais c’est plus fort que lui, il faut qu’il examine toutes les options, car déjà, entre partir et rester, il y a un choix à faire.  Il sait bien que, pour moi, il n’y a pas de place à la tergiversation, mais il faut quand même qu’il s’essaye encore un peu, doute quand tu nous tiens…  « Oui, mais on ne voulait pas peinturer la galerie ? » - « On ne partira pas tout l’été », « Oui, mais au niveau des sous, vu qu’il faut changer la toile de la piscine ? » - « Ben non, c’est correct, on a toujours un budget vacances. », « À moins qu’on ne parte cet hiver à la place ? ».  Bon, je suis déjà épuisée et nous n’avons même pas encore parler de la destination. Une chance qu’on commence la discussion en novembre au fond.  Parfois, je m’énerve et je lui dis d’arrêter de me gosser avec son « on reste à la maison », que l’on sait bien tous les deux que ça n’arrivera pas.
            Ensuite, vient le choix de la destination.  À chaque destination que je propose, il se questionne.  « On va au bord de la plage dans le Maine ? » - « Ouin…faire seulement de la plage ? Et Nat, avec son eczéma, l’eau salé ce n’est pas super… », « O.K., on va à Québec 4-5 jours ? » - « Il faudra coucher à l’hôtel, ça va pas être un peu cher et les enfants ne pourront pas se baigner, à moins d’avoir une piscine à l’hôtel, mais là ça va coûter plus cher et tsé à l’hôtel les enfants n’ont pas beaucoup de place pour bouger… », « On va en camping ? » - « Ce n’est pas un peu trop d’organisation ça ? ».  Je le sais qu’il ne fait pas ça pour mal faire, il veut juste trouver LA meilleure option, avoir les parfaites vacances en famille, j’ai beau lui expliquer que les vacances parfaites n’existent pas, il n’a pas l’air de me croire.  On finit par faire un choix (ben, je fais un choix qu’il finit par approuver), choix qu’il remettra en question jusqu’à la veille de notre départ.  « Pourquoi n’allons-nous pas en Gaspésie, déjà ? »  Et là, pour le rassurer, il faut repasser en revue tous les arguments qui ont fait en sorte que l’on n’a pas choisi la Gaspésie finalement.  Et si je m’impatiente un peu et que je m’oppose à cette récapitulation systématique des arguments, il me répond : « Énerves-toi pas, c’est juste pour jaser ».
Enfin, le jour J arrive et ce jour-là, mon amoureux, il a les émotions à fleur de peau. Comment quitter sa maison en étant sûr de rien oublier ? Vérification, vérification, vérification.  Comment être certain que la maison sera correcte pendant notre absence ? Vérification, vérification, vérification.  Et s’il y avait des vents violents ?  Cette branche devrait être coupée, ce serait plus prudent, peut-être aura-t-il le temps de le faire avant de partir (il est 8h00 du matin, nous devions partir à 7h00, les bagages ne sont pas encore dans l’auto, mais il pense quand même qu’il a du temps devant lui…) ?  On ne doit pas vivre dans le même espace-temps.  Là, je travaille fort pour ne pas m’énerver (bon OK, honnêtement, je ne réussis pas tout-le-temps).  Il insiste pour mettre les bagages seul dans l’auto.  Il aime ça qu’il dit, jouer à tétris. C’est vrai que tout est parfaitement placé, les bagages s’imbriquent parfaitement les uns dans les autres.  Mais il ne faut pas être pressé.
Je finis toujours par asseoir les enfants dans l’auto, même si tous les bagages ne sont pas encore dans la voiture, tellement que je suis exaspérée d’attendre et que les enfants ne sont plus tenables.  Je sais bien que je lui mets la pression lorsque je fais cela et il n’apprécie pas : « Ben là, je n’ai pas encore fini, on ne part pas tout-de-suite », « Pas grave », que je dis.
Après dix minutes :
-       Maman, j’ai fini ma gourde d’eau !
-       Quoi, déjà !? On n’est pas encore partis !
-       Je veux d’autre eau !
-       Moi aussi !  Et je veux retourner faire pipi !
Et là, je me décourage et je me dis qu’on ne partira JAMAIS.
 Mais on finit toujours par mettre les voiles, plus tard que je le pensais, mais quand même, on part. 
Ouf !  Enfin, je respire. Enfin, les vacances.
-       T’es sûr qu’on n’aurait pas été mieux d’aller en Gaspésie ?

jeudi 15 novembre 2018

Cher parent


J’aimerais te dire (et me dire à moi-même d’abord, encore et encore, car il y a de ces choses si faciles à oublier dans la course du quotidien), j’aimerais te dire donc, qu’un enfant de deux ans sera toujours attiré par un trou d’eau, comme les mouches noires par le sang humain au mois de mai, qu’il voudra inévitablement se mettre les deux pieds dedans et s’éclabousser avec joie.  Oui, ses habits seront un peu trempés (OK, beaucoup trempés) et il aura peut-être un peu froid après, mais laisse-le donc aller à cette découverte de l’eau qui revole et virevolte en mille petits éclats, regarde ses yeux qui brillent au lieu de ses vêtements qui dégoulinent.
J’aimerais aussi te dire que tu n’as pas de besoin de demander à ton enfant de 4 ans de réciter son alphabet par cœur pour me montrer à quel point il est intelligent.  Je le sais déjà.  Je le sais, car je le vois regarder les enfants plus vieux et tenter de les imiter.  Je le sais, car je le vois recommencer mille fois son pont avec des blocs pour qu’il soit plus solide.  Je le sais parce qu’il vient me voir, qu’il me parle de ce qui l’intéresse, qu’il me pose des questions.
J’aimerais également te dire que cela ne sert à rien d’humilier ton enfant en public pour démontrer que c’est bien toi le patron et que tes enfants, ce ne sont pas des enfants rois. 
J’aimerais te dire que lorsque je te croise à l’épicerie et que ton enfant fait une crise parce que tu lui a interdit de taponner les poires et les pêches, je ne te juge pas, je compatis avec toi.  Et même si tu lui dis non et que, finalement, tu changes d’idée et que tu le laisses faire, je ne te juge pas non plus, je sais qu’éduquer un enfant partout, tout le temps, c’est exigeant.
J’aimerais te dire que je ne crois pas que tu sois un parent négligent parce que les habits de ton enfant ne sont pas propres-propres.  Des marques de crayon sur le chandail, du sable plein les souliers, des taches de gazon sur les pantalons, moi, tout ce que je vois, c’est un enfant qui s’est bien amusé.  Même s’il est décoiffé et que sa salopette est toute croche, l’important c’est qu’il soit souriant, non ?
J’aimerais aussi te dire que ton enfant peut bouger au restaurant ou dans un lieu public, que tu n’as pas à en être gêné.  J’aime mieux voir ton enfant allumé et vibrant, bruyant, oui, peut-être, plutôt qu’immobile et hypnotisé devant sa tablette, absent au monde qui l’entoure.
J’aimerais également te dire que je me fous de l’âge à lequel ton enfant a marché ou parlé.   Tu n’as pas à te justifier du comment ou du pourquoi il ne marchait pas encore à 12 mois ni de pourquoi il confond encore le bleu et le vert.  Tu n’as pas à me dire qu’il est craintif, paresseux, têtu, indépendant, que c’est un peu de ta faute, car toi aussi tu as marché tard et que tu as un oncle daltonien.  Ton enfant, il est comme il est, c’est tout.
Ah ! Et j’aimerais hurler que même si ton enfant ne finit pas toute son assiette, je ne pense pas qu’il est malnutris pour autant et que tu es par conséquent un mauvais parent.  Il ne mange pas ses légumes en visite, et puis après, c’est la fête, non ?  La routine est bousculée, il est dans un nouvel environnement, il n’a pas à faire plaisir à un étranger en montrant qu’il est capable de manger des légumes.
J’aimerais te dire qu’un enfant touchera toujours à ce qu’il ne faut pas qu’il touche, qu’il tombera endormit au pire moment et qu’il s’éveillera alors que tu tombes de sommeil. J’aimerais te dire que ton enfant écoutera toujours mieux un étranger que toi, qu’au moment où tu croiras enfin l’avoir compris, il adoptera un comportement qui te laissera pantois et que sa ténacité à te contredire t’étonnera toujours.
J’aimerais te dire que ton enfant sera toujours ta plus grande fierté...et ton pire cauchemar. 


jeudi 8 novembre 2018

La créativité en désespoir de cause




Madame X se lève à l’aube, les yeux collés et les cheveux en désordre, mais généralement de bonne humeur.  Elle prépare ses enfants pour l’école ; elle fait les lunchs, elle gère les chicanes, elle vérifie qu’elle n’a rien oublié (livres de la bibliothèque, activités spéciales, documents à signer, etc.).  Ensuite, elle se prépare à son tour.  Enfin, elle monte dans sa voiture et se rend au travail.

Arrivée au travail, d’autres enfants l’attendent, pas les siens cette fois, vingt-cinq enfants tous plus différents les uns des autres, dont elle prend soin, à qui elle enseigne tout l’année durant.  Elle rassemble son énergie à chaque matin pour pouvoir leur donner le meilleur d’elle-même.  Pourtant, de l’énergie, Madame X n’en a jamais manqué, le dynamisme fait partie de son A.D.N.  Mais depuis quelques années, l’usure se fait davantage sentir.  Les ressources humaines et matérielles manquent, ça ce n’est pas nouveau.  Elle repense au début de sa carrière, alors qu’elle faisait le tour des ventes de garage pour s’approvisionner en jeux et en livres pour sa classe.  Elle repense à l’ancien concierge de l’école qui aimait jouer des tours aux enfants, mais qui a été remplacé par une firme externe de nettoyage.  Dorénavant, si un enfant se trouve mal et renvoie le contenu de son estomac sur le plancher, on recouvre le tout d’une petite poudre blanche en attendant que la firme passe nettoyer le dégât en soirée.  Elle pense aux classes trop pleines, aux enfants qu’on envoie dans une autre école, faute de place, à grands coups de trajets d’autobus interminables.  Mais surtout, elle voit sa classe qui déborde d’élèves en difficultés. Elle a cette impression persistante qu’ils sont tous en train de lui glisser entre les doigts malgré ses nombreux efforts.  Alors, c’est le cœur un peu fragilisé, mais toujours aussi déterminé, qu’elle se rend à sa réunion du personnel ce matin-là.  Qu’est-ce que sa direction a à lui proposer ? Rien.  Elle y va même de cet affront : il faudra faire preuve de créativité.  Donc, je récapitule : c’est la créativité des enseignants qui devra, à elle seule, sauver le système scolaire.  À eux de trouver des solutions.  Des solutions qui ne coûtent rien, il va s’en dire.
           
Madame X n’est pas seule à s’être faite servir la solution de la créativité, Madame Y y a eu droit aussi, il y a quelques années.  Employée du système de la santé, elle travaille avec de jeunes enfants ayant des retards de développement.  Elle est confrontée à tous les jours à sa liste d’attente qui ne cesse de s’allonger.  Elle voit le nom de tous ces enfants qui attendent depuis 6, 12, 18, voir 24 mois pour des services.  Elle connaît bien ce mélange d’inquiétude et de soulagement dans la voix des parents lorsqu’elle les appelle pour leur dire que c’est rendu le tour de leur enfant.  Certains enfants ont de grands retards, elle aurait voulu les prendre en charge plus tôt, leur en donner plus, mais il y a tous ces autres enfants.  Et c’est sans compter les tâches connexes, qui ne cessent de s’ajouter.  Madame Y est elle-même responsable du ménage de son bureau depuis plusieurs années.  On lui a donné un swiffer, deux guenilles et quelques sacs de poubelles d’extra ; voilà qui est réglé.  Donc, en plus de son horaire chargé, il faut qu’elle pense à vider sa poubelle et à frotter de temps en temps.  La direction a été clair : ce n’est pas prêt de changer.  Et pour les listes d’attentes, pas d’ajout de personnel en vue.  Comment diminuer cette attente inacceptable pour un jeune enfant au cerveau en plein développement ?  Je vous le donne dans le mile : aux intervenants de faire preuve de créativité.  Même qu’ils devraient se considérer chanceux : un employeur qui encourage ses employés à être créatif, cela devrait être motivant et stimulant pour eux.  Pas de ressources supplémentaires, que de la créativité.

« L’art naît de la contrainte, vit de luttes et meurt de liberté. »

Ça doit être ça, les gestionnaires de la santé et de l’éducation doivent s’inspirer d’André Gide, écrivain français.
           
           
           

jeudi 1 novembre 2018

La pente descendante




Aujourd’hui fût une journée bizarre.  Les événements se sont enchaînés sans apparence de lien entre eux.
            Je me suis d’abord levée au son du bip agressif du réveille-matin, à la suite d’une très mauvaise nuit de sommeil.  Il s’agissait, voyez-vous, de l’une de ces nuits où je me retrouve en nage sans trop savoir comment ni pourquoi.  Je n’avais pas chaud, mais j’étais mouillée à la grandeur de mon corps, je frissonnais même. J’ai alors tenté de m’essuyer avec mon drap qui était malheureusement tout aussi humide que ma peau.  Un peu plus tard dans la journée, j’ai googlé toute trempe pendant la nuit et j’ai réalisé avec beaucoup de joie qu’il pouvait s’agir d’un symptôme de la pré ménopause.
            J’avais donc passé une mauvaise nuit, mais la bonne nouvelle c’est qu’aujourd’hui je n’avais pas à me déplacer, je travaillais de la maison.  Un colloque en webdiffusion.  La webdiffusion lorsque tu restes dans une contrée éloignée c’est presqu’aussi excitant que l’invention de la roue. Avoir accès à toute cette information sans avoir à parcourir un seul kilomètre, c’était inespéré.  Alors les conférences ont débutées…blablabla blablabla….ces approches ne sont plus supportées par des données probantes…blablabla…on ne les enseigne plus à l’université…blablabla…le modèle australien de machin chose publié en 2014 est plus adéquat…blablabla….J’ai gradué il y a plus de16 ans maintenant,  je ne connais pas le modèle australien de machin chose, et on dirait bien qu’une partie de ce que j’ai appris à l’université est à oublier.  Bon.  Coudons, j’étais où moi ces dernières années ? Ah oui, c’est vrai, j’ai eu ce qu’on appelle des enfants.
            Pendant la pause du midi, j’ai décidé de faire quelques exercices de yoga pour me désankyloser un peu.  Je me suis vite rendu compte toutefois que j’avais les cuisses raquées.  Et là, je me suis mise à réfléchir, à me demander ce que j’avais bien pu faire hier pour avoir les quadriceps aussi endoloris.  Je cherchais, je cherchais, et tout ce que je trouvais c’était la marche de 800 mètres aller-retour que j’avais faite du garage à mon lieu de travail. Mmmm.  Il est vrai que je ne suis pas des plus en forme (voir Pourquoi j'haïs le sport ?), mais tout de même, être raquée pour si peu, cela me paraissait pour le moins inquiétant.
            Plus tard en fin de journée, en écoutant la radio, je suis tombée sur un chroniqueur qui expliquait ce qu’était le dab (pour les arriérés comme moi, le dab c’est un mouvement chorégraphique où le danseur place son visage dans le pli du coude, tout en pointant le ciel dans la direction opposée avec les deux bras parallèles. Ce mouvement a été popularisé par la musique hip-hop à la fin de l'année 2015 et au début de l'année 2016, il a ensuite été popularisé par des sportifs qui dabbaient leurs victoires. Merci Wikkipédia).  Je me suis alors aperçue que c’était ça le mouvement que mon fils de 10 ans faisait lorsqu’il était content de planter son frère. Tsé, quand ton fils de 10 ans est plus in que toi.
            En fin de soirée, je me suis mise à penser au congé de l’Action de Grâce, à me demander s’il y aurait une fête en famille d’organisée.  Puis, j’ai réalisé que mes parents étaient morts et que mes beaux-parents étaient vieux et que si jamais il y avait une fête en famille, bien ce serait parce que j’en aurais organisée une. Et bien voilà, j’étais rendu là. C’était rendu ma responsabilité maintenant de rassembler les gens.  Étais-je prête pour cela ?
            Les signes s’accumulaient, je ne pouvais plus le nier, le déclin était commencé, ce déclin inexorable, cette longue marche vers la décrépitude, que tous les smoothies et tous les jus verts, que toutes les médecines alternatives, que toutes les courses à pieds et tous les programmes de mise en forme, que toutes les pensées positives ou séances de pleines conscience de ce monde ne pourraient malheureusement pas arrêter.

Voir aussi Chronique du milieu de la vie mon tout premier blog.

jeudi 25 octobre 2018

Comment survivre aux autres ?



Les autres, ceux qui nous entourent.  Les autres humains de cette planète que l’on côtoie à tous les jours, de près ou de loin.  Pour une fois ou pour toujours.  Ceux-là même dont on a tant besoin.  Ceux-là même qui nous bousculent, qui nous emportent, de qui on veut fuir ou se rapprocher.
            Déjà enfant, il faut survivre à sa propre famille.  Source de sécurité ou d’angoisse, d’attachement profond ou fragile.  Cohabiter avec tous ces caractères, faire sa place, exprimer ses besoins, ses limites. Il faut survivre à ses propres parents, à qui on essayera toujours, inévitablement, de plaire, de qui on recherchera sans cesse l’approbation, souvent inconsciemment.  Il faut survivre à ses frères et sœurs, objets d’amour et de haine, avec qui la comparaison et la compétition sont bien souvent inévitables.  Il faut survivre à cette envie d’embrasser sa fratrie, de les accepter tel qu’ils sont et à ce goût, parfois, de les voir disparaître, il faut apprendre à vivre avec cette dualité.  Il faut aussi survivre à sa famille élargie.  Survivre à cette tante qui ne sent pas bon et à cet oncle qui rit trop fort et qui te fais peur. Survivre à cette grand-mère, un peu trop sévère, aux airs de sorcière.
             Il y aura aussi tous ces adultes maladroits avec les enfants que tu tenteras d’éviter, ceux qui te poseront des questions trop difficiles pour ton jeune âge, ceux qui tenteront des blagues douteuses, ceux qui te parleront en employant une voix débile, ceux qui quémanderont toujours des câlins et des bisous.  
            Ensuite, il y aura les autres enfants.  La petite fille au bandeau rouge dans ta classe de maternelle avec son sourire sympathique, mais que tu hésites à aborder.  Le petit garçon agité qui te rend nerveuse.  Les premières jalousies.  La petite fille blonde qui semble hypnotiser tout le monde avec ses grands yeux bleus. Apprendre, qu’à certains moments, être différent peut te causer des ennuis.  Apprendre à te fondre dans la masse.  Apprendre qu’il y a d’autres enfants à qui il ne vaut mieux ne pas parler.  Apprendre qu’un morceau de rouleau aux fruits peut acheter une amitié.  Découvrir, pour la première fois, quelqu’un avec qui tu partages de réels intérêts et une façon commune de voir le monde.  Vivre en état de quasi fusion avec cette copine et découvrir que tout peut s’arrêter du jour au lendemain.  Apprendre que l’on peut vouloir s’approcher de toi pour les mauvaises raisons.
            Grandir.  Vouloir ressembler à ceux que tu estimes.  T’éprendre de certaines personnes qui ne te remarqueront jamais.  Être, à ton tour, le centre d’intérêt de d’autres, tout en souhaitant être invisible à leurs yeux.  Découvrir le sentiment amoureux, comment il peut être beau et comment il peut faire mal.
            Lutter pour faire partie d’un groupe.  Tenter d’en respecter les codes. Être grisé par ce sentiment d’appartenance et en être effrayé en même temps. S’oublier pour ne pas être seul, se perdre de vue. Être blessé, ne pas savoir comment l’exprimer.  Vouloir s’affirmer, hésiter, être maladroit.
            Juger les autres sur la base de quelques critères flous et être jugé en retour.   Être soumis à la perception que les autres ont de toi, vivre sous leurs regards inquisiteurs, appréhender leurs réactions, leur donner trop de place.  Te réapproprier ta différence.
            Survivre aux curieux, qui veulent toujours en savoir plus.  Survivre aux envahissants, qui percent constamment ta bulle.  Survivre aux bavards, incapables d’écouter.  Survivre à ceux qui savent tout, toujours, tout le temps.  Survire aux mystérieux qui en disent peu. Survivre à ceux qui deviennent trop intimes trop vite.  Survivre à ceux qui te donnent des explications que tu n’as pas demandées.  Survivre à ceux qui ont toujours un ami médecin ou avocat pour te faire chier.  Survivre à ceux qui argumentent pour le simple plaisir de te contredire.  Survivre à ceux qui ont besoin d’être applaudis.  Survivre aux réponses toutes faites.  Survivre aux trop parfaits et aux trop intenses. 
            Comprendre ton incapacité à contrôler les autres.  Comprendre qu’ils sont essentiels à ta vie.  Comprendre la place que tu peux leur donner.

jeudi 18 octobre 2018

Princesse Urbaine


Je suis une Contry Girl , je vous l’ai déjà dit. Mais parfois, j’aime bien changer de vie.  Ou plutôt, m’imaginer que je change de vie.  Pour nos vacances d’été cette année, nous avons décidé d’aller à Toronto et, tant qu’à faire, de louer un condo au centre-ville.  Pas d’auto, le 21e étage, les commerces à proximité, le bruit, le mouvement, les lumières, les terrasses branchées, du monde bien habillé.  Une autre vie pour nous tous. 
            Mais le moment où j’ai vraiment pu me convaincre que j’avais une autre vie, c’est lorsque je suis sortie toute seule pour faire les courses, laissant chum et enfants derrière moi (devant Netflix, point fort de notre voyage, il faut bien l’avouer). Alors nous étions là, moi, ma robe soleil un peu défraîchie et ma petite sacoche en bandoulière à zigzaguer à travers les condos et, dans ma tête je me disais que ce serait comme ça si j’étais une jeune urbaine branchée sans enfant et légèrement fortunée.  Bon, c’est certain qu’à ce moment-là, je serais certainement plus près du 20 ans que du 40 ans, que j’aurais une robe soleil plus tendance, une sacoche en vrai cuire et que je n’aurais pas acheté mes lunettes soleil à la pharmacie.  Mais, ce n’était pas grave, dans ma tête, je me croyais.  J’étais une jeune beauté pleine d’assurance.  J’étais une princesse urbaine, a urban princess. 
            Pourtant, je n’ai jamais été très princesse durant mon enfance, préférant de loin les histoires d’ogres, de sorcières et d’enfants abandonnés.  Mais, j’ai périodiquement mes petits moments d’égarement, comme lors de notre voyage à Walt Disney il y a deux ans. Au début de notre voyage, j’étais contente d’avoir engendré deux garçons et de me retrouver plus souvent qu’autrement dans la section Star Wars et de pouvoir lever le nez sur Cendrillon et compagnie. Et, pour être complètement honnête, avoir eu des garçons m’a carrément permis de ne pas avoir à me positionner sur l’épineuse question des princesses.  Une princesse, qui n’a qu`à être belle et à attendre son prince charmant, ça envoie un drôle de message aux jeunes filles, disons. Quoique les princesses modernes sont quand même plus débrouillardes et aventureuses que leurs prédécesseurs. Elles peuvent maintenant monter à cheval, combattre des méchants et diriger des empires.  Mais elles sont toujours jolies.  Elles vendent du rêve et une image plutôt stéréotypée de la femme.  On en a tellement vu de ces images de princesses que c’est bien certain qu’elles finissent, tôt ou tard, par nous influencer, consciemment ou non.  Alors, oui, après les feux d’artifices de Magic Kingdom, avec la musique de conte de fée et le château qui change de couleur, j’ai failli me garocher dans la boutique de princesse la plus proche pour m’acheter une robe de Cendrillon et j’ai résisté à l’envie de traîner de force ma tribu toute masculine dans le manège de la Reine des Neiges.  Ils m’avaient eu, je voulais être une princesse. 
            Toronto m’avait eu aussi, je voulais être une princesse, belle, jeune, moderne, indépendante fière et libre.   

jeudi 11 octobre 2018

La grisaille



J’aime quand la grisaille est de retour.  J’aime quand le mercure chute sous la barre de vingt degrés et que l’on doit ressortir les chaussettes et la veste de jeans.  J’aime que le soleil se fasse plus discret, que le vent frisquet vienne chatouiller ma peau encore bronzée.  J’aime ce temps maussade qui me donne le droit d’être triste, le droit de me refermer sur moi-même, de ne pas sortir, de ne pas être trop active ni trop efficace, le droit de procrastiner, de laisser les heures s’égrainer sans chercher à les combler.
Je vois les feuilles et les plantes qui roussissent et qui meurent tranquillement, comme si elles prenaient un repos bien mérité après avoir grandi et verdi tout l’été. Je sens ce repos qui m’appelle aussi.  Je pense à tout ce qui s’éteint.  Je pense à la mort.  Je pense aux êtres chers qui m’ont quittée, mais qui, contrairement à la nature, ne renaîtront pas.  La grisaille leur fait une place, ils peuvent venir se blottir contre moi.  Nous pouvons être tristes ensembles, faire revivre les souvenirs.  Je peux repenser à ton dernier automne papa, à ton dernier bal des citrouilles, à ta dernière marche au Caluron, à ta dernière dinde à la sauce dégueulasse.  Je me remémore les photos prises à cette époque, tu avais déjà commencé à maigrir, tu nous avais parlé de ton trou de ceinture, un de moins, tu avais ris, tu étais content.  Il faut croire qu’à partir d’un certain âge, maigrir n’est pas une bonne nouvelle.  Je repense à ton dernier automne maman.  Il y a 23 ans déjà, tu entamais ton dernier mois de vie sur terre. En chimiothérapie depuis plusieurs mois déjà, tu voyais la guérison approcher, elle était à ta portée, tu pouvais la toucher du bout des doigts, mais elle t’a fait faux bond, elle est allée sauver d’autres vies, te laissant incrédule et désemparée au bord du gouffre, à la merci de cette mort qui t’as fauchée d’un seul coup, toi aussi.
Le temps est sombre, l’air est froid, le vent siffle, nous prévenant qu’il faudra bientôt se mettre à l’abri, pour de bon.  À l’abri, ainsi, seule dans ma maison, j’ai l’impression que rien ne peut m’arriver.  Ma maison me protège.  De quoi ?   Je ne sais trop.  Des déceptions.  Des efforts non-récompensés.  De la comparaison.  Du trop grand bonheur des autres.  Première grisaille, premier feu.  Le bois mort que l’on brûle.  Les premières flammes, les premiers craquements, comme s’il reprenait vie.  Chaleur et lumière pour contrer la froide grisaille.
Cette noirceur qui s’installe, qui nous avale presque complètement.  Bientôt, je ne suis plus bien, j’étouffe, je suis prise à l’intérieur, l’extérieur est trop hostile.  Je manque de courage pour affronter cette hostilité.  Qu’est-ce que j’y gagnerais, de toute façon ? Vais-je seulement m’épuiser ?  J’ai peur de mourir.  La mort est là, elle me guette.  Quand elle le décidera, elle me saisira à bras-le-corps et je ne pourrai plus rien faire, je ne pourrai que contempler mon impuissance.
La nature se meurt.  Et je meurs un peu avec elle à chaque année.  Une année d’usure de plus.  Une année de vie de plus qui est partie en fumée.  Une année de plus qui me rapproche de la mort, de la fin.
Le temps est gris.  Il me semble plus honnête que le beau temps qui nous laisse croire à la facilité de la vie.  Dans cette vie où tout va vite tout le temps, où il faut constamment aller de l’avant, tourner la page, continuer, progresser, la peine, la tristesse et le deuil ont souvent bien peu de place.
 Mais aujourd’hui, j’ai le droit d’être triste.


jeudi 4 octobre 2018

Retour vers le futur



Je défais des boîtes.  Encore.  Au fur et à mesure que je place des objets dans mon ancienne/nouvelle maison, je sens revenir le passé.  Tout doucement.  Mes émotions arrivent au compte-gouttes. 
Pendant les premières semaines, il fallait aller vite, placer la chambre des enfants avant la rentrée scolaire, avoir une cuisine fonctionnelle, être capable de marcher dans le salon sans risquer de se blesser.  Il fallait appeler les assurances, régler une multitude de détails techniques.  Mes émotions semblaient m’avoir lâchées.  Pas le temps.  Il fallait continuer d’aller de l’avant, rassurer les enfants.
Maintenant, l’urgence est passée.  Il reste les détails.  La lampe à droite ou à gauche du vaisselier, les Lego au fond ou à l’entrée du salon ? Les cadres à accrocher, les petits objets à ranger.  Il y a aussi tous les objets de mon père qui sont encore dans la maison, les objets de ma famille, les objets de mon enfance.  J’en retrouve certains au sous-sol dans une armoire, je les reconnais aussitôt, même si je ne les ai pas vus depuis plus de 30 ans.  Il y a mon jeu de mémoire 12 wigwams, tout poussiéreux. Il consiste en 20 petites figurines d’indiens de quatre couleurs différentes qu’il faut cacher sous les tipis.  Je prenais toujours les rouges, je les reconnais.  Je joue un soir avec mes enfants et ma sœur.  Mon cadet tend spontanément la main vers les indiens rouges, j’ai un pincement au cœur, j’hésite à les laisser entre les mains de quelqu’un d’autre, fût-il mon propre fils.  Alors, je cache les petits indiens (les jaunes cette fois) sous les tipis et je me rappelle de façon très nette la joie que j’éprouvais à l’époque où je jouais avec ma sœur et mes parents (un tel jeu serait impensable aujourd’hui, genre full appropriation culturelle).
Il y a aussi les assiettes pour la fondue chinoise et les petits bols multicolores pour les sauces.  Juste à côté des bols pour la soupe à l’oignon (que ma mère faisait avec les restes de bouillon de la fondue).  Il y a le plat en pyrex dans lequel mon père faisait chauffer le maïs en crème pour son classique poulet BBQ-patates frites-maïs en crème.
Il y a, dans le bureau au 2e étage, deux tiroirs qui ne semblent pas avoir été touchés depuis plus de 20 ans.  Ils contiennent encore des effets personnels de ma mère. Dans le premier, tout son matériel à dessin. Elle avait débuté des cours quelque temps avant sa mort.  Tout est là, tel que dans mon souvenir, indemne.  Pas un crayon n’a été aiguisé depuis, pas une feuille n’a été noircie.  En déplaçant les objets, je reconnais tout-à-coup mon écriture d’adolescente au fond du tiroir.  J’ai écrit maman.  Je me souviens que je faisais souvent mes devoirs à cet endroit. J’ai dû griffonner ça dans un moment d’égarement, entre deux résolutions d’équations du second degré.  Mon écriture est là, tout simplement, au milieu des trucs de ma mère, comme si cela datait d’hier.  Dans l’autre tiroir, il y a son kit de couture, encore une fois identique à dans mon souvenir. Toutes les bobines de fils, toutes les aiguilles, tous les boutons, tous choisis et placés là par ma mère, ils sont là, figés dans le temps, dans ce tout petit espace, c’est comme si une partie de son âme était encore là.  Je ne touche à rien et referme le tiroir.  Je ne sais pas coudre.  Elle n’a pas eu le temps de me montrer.
Dans le fond d’une boîte, je retrouve la vieille montre de ma mère, arrêtée à l’heure de sa mort.  Je la remets dans la petite armoire à bijou encastrée au mur dans la chambre de ma mère, dans ma chambre.  Les larmes me montent au yeux.  Je referme la porte.  Je me sens bien.  Enfin, une émotion plus forte qui m’emporte.  Enfin, je commence à me déposer dans mon ancienne/nouvelle maison.

jeudi 27 septembre 2018

Le nouveau snobisme


Bon, ce n’est pas mon expression, c’est celle de Stéphan – pas de e - Bureau, mais j’ai décidé de l’adopter.  Ce qui était hot jadis est rendu ringard aujourd’hui et vice versa.  Alors qu’autrefois, avoir une belle voiture rutilante de l’année suscitait l’envie de tes contemporains, aujourd’hui t’as juste l’air d’un vieux borné inconscient des enjeux environnementaux.  Un vélo ultra performant est plus tendance.  Alors que marcher un mille à pied a jadis été le pain quotidien des pauvres gens, aujourd’hui, ça représente la santé, la zénitude, l’effort environnemental. Même si tu as beaucoup d’argent, marcher à la cote. 
Il y a aussi les vieilles affaires qui reviennent à la mode.  Je pense, entre autres, aux pots Masson. Que ce soit pour une soupe, un drink, un dessert, pour fabriquer une chandelle ou une lampe électrique, tout est cool avec un pot Masson. Je pense aussi à la mode des planches de grange que je ne saisis pas tout-à-fait.  Depuis quand de vieilles planches grises c’est supposé être beau ? On a une vieille grange chez-nous, d’aussi loin que je me souvienne, mes amis ont toujours considéré ça comme une vieille affaire pas trop solide.  Maintenant, on trouve ça beau.  On utilise de vieilles planches de grange comme accessoires déco dans un condo moderne et voilà, tous tes invités tombent en pâmoison.  La planche de grange, symbole de la récupération, du naturel, de l’authentique, de l’ancien, du retour aux sources.  Je n’aurais jamais pensé un jour être hot avec ma vieille grange.  Quoique ma grange, c’est encore une grange, je ne l’ai pas transformée en quelque chose d’autre, donc je ne suis pas vraiment hot au fond.  Il paraît même que la tendance c’est d’y célébrer des mariages…tient ça pourrait peut-être payer les taxes de la ferme ça…
Je m’en voudrais de passer sous silence, la dégringolade qu’ont subi les bières importées.  Il y a de cela quelques années, boire de la bière importée te mettait dans une classe à part, tu passais pour un fin connaisseur, raffiné, ouvert sur le monde.  Plus maintenant. Aïe ! Toute la pollution produite par cette bière-là pour se rendre jusqu’ici, pensez-y.  Le nouveau snobisme, c’est les bières locales, des microbrasseries.  Je me rappelle aussi de mon oncle qui nous avait amené des caramboles à un brunch familial.  Wow ! Un fruit en forme d’étoile ! C’était exotique, impressionnant.  Il avait réussi son effet mon oncle.  Tu ne verrais plus ça aujourd’hui.  Dorénavant, pour faire son effet, il faut faire pousser ses propres fruits, pas polluer la planète en important des fruits exotiques de d’autres pays.
Le nouveau snobisme, c’est aussi voyager de façon responsable.  Les enjeux climatiques, d’accord, mais pas au point de s’empêcher de prendre l’avion.  Alors, pour se déculpabiliser, on évite le tourisme de masse, on respecte les écosystèmes, on s’intéresse vraiment aux populations locales.
Qui sait, peut-être que dans quelques décennies nous redécouvrirons le charme subtil du papier et du crayon, de son naturel, de sa simplicité, de son côté organique, voir sensuel ? Qui sait, peut-être que le nouveau snobisme sera d’envoyer des lettres écrites à la main, des invitations manuscrites seront peut-être la nouvelle tendance vintage.  Le nouveau snobisme sera peut-être de préserver son intimité, de ne plus diffuser à tout vent des photos de soi, de ne plus partager sans cesse (comme je le fais en ce moment) ses réflexions, ses opinions, ses tranches de vie, de laisser un mystère nous entourer ?