jeudi 25 janvier 2018

Ce que le cancer m'a appris


Le cancer m’a d’abord appris à ne jamais rien prendre pour acquis.  Il m’a appris que rien n’est immuable, que rien n’est figé dans le temps, que tout est amené à changer, tout le temps.  Que le bonheur côtoie le malheur. Tout le temps.  Constamment.  Que rien n’est éternel et que tout a une finalité.  Que la vie et la mort sont intimement liées, que l’une ne va pas sans l’autre.  Jamais.  Il m’a appris que même ce qu’on imagine comme étant la chose la plus terrible au monde, on arrive à la prendre à bras le corps, on arrive à y faire face, presque malgré nous.  Le cancer m’a appris qu’il y a des choses qu’on ne contrôle pas et sur lesquelles il est inutile de s’acharner.  Le cancer m’a appris à considérer la fin potentielle de toute chose, ma propre fin et celle des autres.  Il a mis la mort au cœur de ma vie. J’en parle souvent, tout naturellement : « Quand je vais être morte… », « Quand tu seras mort… », « Si je meurs en premier… », « Quand tes parents vont mourir… ».

          Le cancer m’a appris que des métastases ce n’est jamais bon signe.  Il m’a appris les ravages de la chimiothérapie.  Il m’a appris ce que c’était des nausées, des vraies.  Il m’a appris qu’une mère, ça pouvait être fragile.  Et pleurer dans son lit le matin.  Et recommencer à croire en Dieu, malgré tout le chemin parcouru pour s’en séparer.  Il m’a appris qu’un père, ça pouvait perdre contact avec la réalité quand la souffrance est trop grande.  Il m’a appris qu’un père pouvait pleurer.  Et être sans mot. 

          Le cancer m’a aussi appris qu’un père, ça peut s’occuper seul de ses enfants.  Qu’un père, ça peut aller acheter des serviettes sanitaires à ses filles.  Qu’un père, ça peut soutenir sa fille aux prises avec une grossesse non-désirée et  qu’un grand-père, ça peut s’occuper d’un bébé naissant.  Le cancer m’a appris qu’on peut vivre sans sa mère.  Le cœur triste par moment, mais qu’on y arrive.

          Le cancer m’a appris que la foudre peut frapper deux fois au même endroit, qu’un cancer n’en empêche pas un autre.  Le cancer m’a appris que la maladie ne compte pas, qu’elle n’est ni juste ni équitable, qu’elle fait ce qu’elle veut, qu’elle ne fait pas la différence entre bons et méchants, jeunes ou vieux, riches ou pauvres.

          Le cancer m’a appris que mêmes anéantis, on peut organiser des funérailles.  Le cancer m’a appris que même quatre jours après le décès d’un être cher, on peut choisir de façon rationnelle la sorte de sandwichs qui seront servies au goûter après la cérémonie.  Le cancer m’a appris qu’il faut payer pour faire creuser un trou au cimetière.

          Le cancer m’a appris c’est quoi un picc line ou une voie centrale.  Il m’a appris l’attente interminable dans une chambre d’hôpital.  Il m’a appris l’espoir de voir arriver un médecin avec une bonne nouvelle.  Il m’a appris qu’il n’y a pas juste des jaquettes d’hôpital bleues, qu’il y en a aussi des vertes.  Il m’a appris à quoi ça ressemble un gémissement de mourant et que ça s’appelle vraiment comme ça, un gémissement.  Il m’a appris que la maladie rapproche ceux qui restent (« on se voit plus que pendant le temps des fêtes »).

          Le cancer m’a appris qu’on paye 50% d’impôt sur un gain en capital.  Il m’a appris comment liquider une succession. Il m’a appris c’est quoi un droit acquis, l’aliénation d’un lot, une servitude et c’est quoi être inscrit aux taxes. Il m’a appris que la TPS et la TVH, c’est la même affaire.  Il m’a appris que l’Union des producteurs agricoles et la Commission de la protection des terres agricoles existaient et pouvaient m’être utiles.  Il m’a appris qu’on met du diesel dans un tracteur, de l’essence dans une motoneige et mélange huile-essence dans une scie à chaîne. Il m’a appris à peser sur la flotte quand la température monte trop lorsqu’on sort le sirop d’érable.  Il m’a appris la différence entre un CELI et un REER.  Il m’a appris tout le travail invisible que quelqu’un peut faire. 

Le cancer m’a appris tout l’amour qu’on peut porter à quelqu’un et tout le vide qu’on peut ressentir à sa perte.  Il m’a appris que la vie nous rattrape toujours.  Il m’a appris que les aurevoirs arrivent toujours trop vite.  Il m’a appris qu’un peut devenir orpheline à n’importe quel âge.  Et apprendre à vivre avec.

 

 

jeudi 18 janvier 2018

La familia au centre d'achats


Bon.  Il ne faut pas se raconter d’histoires, magasiner en famille ce n’est J-A-M-A-I-S une réussite.  Même si je tente à chaque fois une nouvelle stratégie pour rendre l’expérience, non pas agréable, mais du moins tolérable, c’est la catastrophe assurée.

          Donc, habituellement, je reviens de mon magasinage en famille certes fatiguée, mais pas trop déprimée, car je m’étais déjà préparée mentalement au chaos. Ne vous méprenez pas, je ne suis pas masochiste, si j’ai l’opportunité d’aller magasiner sans mes enfants, je le fais, mais parfois je n’ai juste pas le choix.  Alors, aujourd’hui, nous sommes partis par cette moite journée d’été, en direction d’Ottawa et j’étais prête à affronter le pire. Mais voilà qu’au retour je me retrouve dans un état dépressif hors du commun.  Je me questionne alors : « Que s’est-il donc passé de si épouvantable pour que je me retrouve dans cet état ? »

          La gestion de mes enfants-tourbillons fut de la haute-voltige, mais pas plus que d’habitude.  Ils ont eu envie de faire pipi au pire moment, lorsque nous étions le plus loin possible d’une toilette, ils se sont amusés à tirer les vêtements sur les mannequins, ils ont joué à cache-cache dans les racks de linge au risque de tout faire tomber et ils se sont couchés sur les lits au La Baie sous les regards désapprobateurs de vieilles vendeuses anglaises.  Mon aîné de 9 ans a angoissé toute la journée à savoir s’il achèterait un Jeep ou une Mustang quand il serait grand (je me demande de qui il tient celui-là…) et le cadet a toujours sa tendance naturelle à se coucher de tout son long à même le plancher du magasin lorsqu’il décide qu’il en a assez.  Le tout agrémenté de quelques « J’ai faim ! », « J’ai soif ! », « Je veux un jouet ! ».  Donc, comme je disais, une journée normale.  Et même, un charme, comparé à pareille journée en hiver où je me promène dans le centre d’achats avec mon manteau détaché et mes grosses bottes d’hiver pleines de slush , tenant les manteaux des enfants dans mes bras avec des mitaines et des foulards qui sortent de partout, les cheveux pleins de statique et les lèvres gercées.  Mon Dieu qu’une famille qui déambule dans un centre d’achats l’hiver c’est tout sauf glamour !

          Et soudain, sans crier gare, ma face d’enterrement s’illumina, car je venais de mettre le doigt sur la source de ma déprime : j’avais poussé la folie jusqu’à aller magasiner un maillot de bain en famille ! J’étais bonne pour l’asile.  Pourquoi n’y avais-je pas pensé plus tôt ? Magasiner un maillot de bain est T-O-U-J-O-U-R-S une expérience traumatisante pour une fille.  Alors, les maillots de bain ont réussis, ce jour,  à mettre bien en évidence les trois choses suivantes :

1-    J’étais blanche comme un drap malgré le fait que nous étions au milieu de l’été.

2-    J’avais vieillie.

3-    J’avais un corps disproportionné (toujours le fun de réaliser que tu as de besoin d’un large pour le bas et d’un small pour le haut, tiens, dans ta face la grande !).

J’ai fini par acheter un maillot de bain large en bas et large en haut (c’est tout ce qu’il restait), on s’entend qu’il y a du lousse dans la partie supérieure, mais c’était ça ou l’abonnement au camp de nudiste pour le reste de l’été !

jeudi 11 janvier 2018

Ma première rencontre avec la famille X


Je me rappelle encore de la première fois que je les ai rencontrés (je devais avoir 20 ans à l’époque).  Une famille comme dans les films. Le genre de famille parfaite.  À sa tête, un couple marié depuis si longtemps qu’on ne compte même plus les années. Un couple que tu peines à les imaginer l’un sans l’autre.  Le Yin et le Yang.  Les deux qui ne font qu’un. Un modèle de stabilité et de durabilité.  Ce qui frappe le plus quand on les voit pour la première fois, c’est à quel point ils sont assortis, autant physiquement (même cheveux blancs, même taille, même façon de s’habiller) que psychologiquement (même obligeance,  même érudition).

          Elle, elle est ultra sympathique.  Douce, aussi.  L’imaginer en colère relève de la science-fiction.  Elle est également hyper-méga-organisée, genre vraiment intense.  Lui, il est ultra sympathique également.  Attentionné, aussi.  Alors que j’allaitais mon bébé naissant seule dans un coin sombre pendant une fête de famille, c’est le seul à avoir pensé à me sauver un morceau de dessert et à me l’avoir apporté.  De la classe, tu dis.  Il a occupé des postes importants dans sa carrière, comme mon beau-père, et, comme lui, il aime bien en parler et raconter ses hauts faits d’armes.

          Donc, revenons à cette première rencontre.  C’est dans le temps des fêtes, je crois.  La table est parfaitement mise.  Tout le monde se présente.  Il y a les trois garçons et la fille.  Il y a le plus jeune, le plus petit, aux yeux bruns perçants, volubile, drôle et à l’aise comme un animateur de télé.  J’ai l’impression de côtoyer une vedette tellement son aura est grande.  Ensuite, il y a celui du milieu, humble et brillant. Il possède une sorte d’intelligence naturelle qui pousse toute seule.  Il est drôle aussi, plus pince sans rire par contre.  Et finalement l’aîné, grandiose et volubile aussi, sûr de lui.  L’artiste, l’ingénieur et l’entrepreneur.  La famille parfaite, je vous dis.  Il me reste la fille, mais je me la garde pour une autre fois.

          Au fil de la soirée, je m’aperçois qu’ils ont tous (ou on eut par le passé) des passe-temps de riches (voile, plongée sous-marine, danse classique, violoncelle, etc.).  Toutes des choses que j’associe à l’époque aux biens nantis.  J’ai l’impression d’assister à une fête de famille d’une autre classe sociale.

          Au moment du repas, la maman nous informe que c’est elle qui a préparé le repas, mais que ce sont ses enfants qui vont assurer le service.  Alors, pendant le souper, ils sont trop beaux à voir, un s’occupe des verres d’eau, l’autre des verres de vin, un autre sert les assiettes et le dernier desserre.  L’harmonie.  En apparence du moins.

          Après le souper, on me demande si je veux un pink lady. Je ne sais même pas ce que c’est un pink lady. Un drink de riche, j’imagine. Je dis quand même oui.  Je suis plutôt surprise quand je vois le drink rose bonbon arriver.  Dans de l’argenterie, ma foi.  C’est la première fois de ma vie que je bois dans de l’argenterie. Pas mauvais le pink lady.

          Mais le clou de la soirée, c’est quand ils se mettent tous à chanter et à jouer de la musique (pis pas du zing zing de gratteux de guitare, là). Moi, je suis là, avec ma coupe en argenterie remplie de liquide rose bonbon et je regarde cette famille exécuter des chants mélodieux.  Je suis alors partagée entre deux sentiments, tout cela étant tellement loin de ma réalité habituelle (voir Contry girl).  D’une part, je les juge un peu, je les trouve bourgeois.  D’autre part, je me sens attirée par leur monde, par cette vie qui m’apparaît chic et de bon goût.

          Sur le chemin du retour, je me suis dit que cela avait été une immersion en terre inconnue et j’étais encore perplexe dans ma tête.  Mais ce que je me rappelais surtout, c’était de leur grande gentillesse, à tous.

 

 

         

jeudi 4 janvier 2018

Les introvertis sont aussi des êtres humains


Je suis à un souper entre amis du temps des fêtes.  Un ami est intrigué par mon blogue, il se demande comment m’est venue cette idée de bloguer.  C’est une bonne question, à laquelle je tente de répondre de mon mieux et le plus honnêtement possible.  Il ne semble toutefois pas satisfait de ma réponse et revient à la charge : « Oui mais, tu m’as toujours paru quelqu’un de réservé.. », « Ben justement » que je lui réponds « c’est plus facile pour moi d’écrire que de parler ».  Il ne semble toujours pas convaincu.

Sur le coup, je n’ai pas compris son incompréhension.  Il me semble que c’est bien connu qu’il y a de grands timides qui ne réussissent à s’exprimer que par la peinture, la chanson, le jeu, l’écriture, etc.  Mais en y repensant par la suite, je me suis dit que cela était peut-être juste évident pour moi au fond, car, en tant qu’introvertie, je sais pertinemment qu’une personne introvertie ce n’est pas une coquille vide. Mais, force est de constater que les non-introvertis n’ont pas nécessairement cette perception.  Cela m’a attristée.  Ben oui.  Je dois être naïve.  Pour moi, c’est évident que ce n’est pas parce que quelqu’un ne parle pas qu’il n’a rien à dire.

Il arrive souvent que je ne donne pas mon opinion.

Parfois, il est vrai que je n’en ai pas. D’autres fois, j’en ai une, mais je n’ai pas la force/le goût/l’envie/l’habileté de la dire plus haut et plus fort que les autres pour être entendue. Ou, j’ai un semblant d’opinion, mais je ne connais pas le sujet à fond, alors je préfère me taire plutôt que d’avancer des demi-vérités.  Ou, je ne suis pas assez vite pour aligner mes idées les unes à la suite des autres et produire un message qui se tient, donc je dois réfléchir un peu et OUPS ! On a changé de sujet de conversation.  Ou, je n’ai juste pas l’énergie d’être en désaccord avec tout le monde et de devoir argumenter et argumenter et contre argumenter,…

J’entretiens rarement les gens sur un sujet qui m’intéresse.

D’abord parce que je ne suis jamais tout-à-fait convaincue que ça va intéresser les autres.  Et je suis rarement suffisamment interpellée par un sujet pour en connaître toutes les subtilités, et surtout, pour m’en rappeler.

Je parle peu de mes sentiments et de mes émotions.

Cela ne veut pas dire que je n’en ai pas.  J’ai toutefois un malaise à les étaler devant un grand groupe ou devant des gens que je connais peu.  Je suis souvent en maudit, en esti même.  Il m’arrive de crier et même de casser des assiettes et de renverser des chaises.  Je peux également avoir de grandes peines.  Je peux être blessée par tes propos, surtout si tu me dis : « Mon Dieu, es-tu toujours silencieuse de même ?!? », cela ne me met pas vraiment en confiance et ne m’aide pas à m’ouvrir davantage, mettons.  J’ai besoin de prendre mon temps et d’apprivoiser les gens.  J’ai aussi de grands moments de bonheur, mais je n’écœure pas le peuple avec ça, je n’ai pas la prétention de croire que ça intéresse tout le monde.

Je parle peu, mais j’écoute et je suis sensible à ce qui m’entoure.  Je ne suis pas un meuble dans la pièce.  Il peut arriver que je sois silencieuse pendant plusieurs minutes, voir plusieurs heures.  La discussion ne m’intéresse peut-être pas et je n’ai peut-être pas les habiletés sociales nécessaires pour changer de sujet ou pour pouvoir relier ce dont il est question à une expérience personnelle.  Il arrive aussi que je disparaisse dans mon monde intérieur parce que cela est plus facile pour moi que de tisser des liens avec ceux qui m’entourent (ça, je sais que ce n’est pas super sain comme habitude, mais je travaille là-dessus).

Alors, oui, je suis introvertie.  Oui, je manque probablement de confiance en moi.  Mais je ne suis pas un objet inerte.  Je pense.  Je ressens.  J’ai des histoires à raconter.  Je ne sais juste pas toujours comment.

Les introvertis