Pendant
la pandémie. Avant la pandémie. Après la pandémie. La voilà dorénavant bien intégrée dans notre
vocabulaire courant. J’avais ce
projet-là avant la pandémie…pendant la pandémie, ce n’est pas trop le temps de
penser à ça…après la pandémie, on s’organise un souper…Un terme si
catastrophique, si extrême, si apocalyptique, ne peut pas faire ainsi parti de
notre quotidien, s’ajouter à nos conversations comme une simple banalité. Ouf ! Il fait froid ce matin. Aïe, je me demande combien de temps va durer
la pandémie ?
Mais
je suis bien consciente que si j’ai le loisir d’avoir ce genre de réflexion
c’est parce que je ne suis pas en détresse en ce moment. J’ai toujours mon emploi et je suis en
santé. J’ai juste un sentiment d’irréalité. J’écris mes notes au dossier. Étant donné les consignes de sécurité
relatives à la pandémie de coronavirus, les rendez-vous en personne sont
suspendus pour une période indéterminée.
Coudons, suis-je rendue dans un film de science-fiction ?
Je me
rends au travail à tous les jours, mais les routes sont maintenant
désertes. J’entre au CLSC. Je me lave les mains. Les techniciennes de laboratoire mesurent la
distance entre les chaises de la salle d’attente. Non, on n’a pas deux mètres ici, il va falloir enlever une autre
chaise. Je traverse la salle, je
pousse les portes battantes avec ma hanche.
Je prends l’escalier. Pas
d’ascenseur en période de coronavirus.
Quoique dans l’ascenseur il y a un distributeur de Purell, j’aurais pu me relaver les mains. C’est un pensez-y bien. La prochaine fois peut-être. Une seule personne siège dans la salle
d’attente des médecins. J’arrive dans
mon secteur. Je me lave les mains avant
de pousser la porte. Cinq portes, cinq
bureaux, cinq collègues. La pandémie
nous rapproche (à plus de deux mètre, bien entendu). Avec les suivis au téléphone, on se voit plus
souvent, pas de visites à domicile, pas d’éparpillement d’un point de service à
l’autre. Confinées dans nos bureaux et
nos salles de thérapie vides. Chacune
dans nos cadres de portes, on jase un peu, on s’encourage, on essaye de
comprendre ce qu’il se passe, de trouver des nouveaux repères, de donner un
sens à ce que l’on fait là, au milieu de la pandémie. Je m’installe à mon bureau. Je me lave les mains. Je fais quelques
appels, quelques notes au dossier. Salut ! Comment se passe votre confinement ?
Les enfants, ça va ? Avez-vous internet à la maison ? Je dois aller au
photocopieur. Je me lave les mains. Je quitte mon bureau. Je fais mes photocopies. J’hésite à utiliser la brocheuse
communautaire. Je reviens à mon bureau. Je
me lave les mains. Ma collègue fait sa
tournée de nettoyage de poignées de portes et d’interrupteurs. On n’est pas certaines de ce que l’entretien
ménager a le temps de faire ou pas, eux qui sont souvent sollicités de l’autre
côté, au CHSLD.
L’heure
du dîner. Le micro-ondes à
affronter. Je me lave les mains avant,
pendant, après. On dîne chacune dans
notre bureau. Toutes seules ensembles
comme dirait l’autre. Je déprime un peu,
et là je me dis que je n’ai pas le droit de déprimer, parce que j’ai un travail
et que je suis en santé. Treize
heures. On écoute pepa. Notre nouvelle
routine.
Quelques
appels, quelques notes au dossier, une conférence téléphonique, un bulletin COVID-19.
Tiens, je vais me laver les mains à nouveau. J’ai le toupet devant les yeux. Mon toupet m’obsède. Bientôt, je devrai prendre une
décision : tenter de le couper moi-même ou le laisser pousser. Force est de constater que je tiens à mon
toupet. Je ne veux pas le laisser se
confondre avec le reste de ma tignasse ni l’abîmer avec mon coup de ciseau
maladroit. Je suis dans une impasse. Après, je me dis qu’il ne s’agit pas là d’un
réel problème, franchement. Mais je me sens en deuil de mon toupet, comme si on
allait m’amputer d’une partie de ma personnalité. C’est là que je me dis que ma santé mentale
est peut-être plus fragile que je ne le pense.
Je me
lave les mains avant de quitter le bureau.
Je me lave les mains en arrivant chez-moi. Je fous mon linge au lavage et je prends une
douche. Mon chum et mes enfants sont
toujours là, confinés à la maison. Je distingue sur le visage de mon chum une
fatigue toute parentale, lui qui est devenu malgré lui un homme au foyer, avec tout
ce que cela comporte de charge mentale.
J’écoute
un peu la T.V. Je vais un peu sur les
internets. J’aime bien voir les vedettes
se filmer chez elles, ça me permet de les juger un peu Ben voyons, c’est ben laitte chez eux.
Je reçois un info-covid de
mon ordre professionnel, arrêté ministériel et cie. Un autre info-covid
de la commission scolaire. Ma
motivation pour faire l’école à la maison oscille entre zéro et un sur
dix. Pendant la pandémie, mon plus jeune
aura appris à faire du vélo et mon plus vieux à fendre un tronc d’arbre avec
une hache. Et si cela était suffisant, que je me dis ?
Depuis
quelques jours, je magasine en ligne.
J’achète des vêtements. Un
bikini. Une paire de jeans. Des souliers.
Un autre signe que je ne vais peut-être pas si bien que ça. La dernière
fois que j’ai fait des achats compulsifs, c’était suite au décès de mon père. Un
vide à remplir peut-être ? Moi qui me targue pourtant d’avoir une vie
intérieure plutôt riche…
Aussi
épouvantable que cela puisse paraître, je me sens parfois soulagée que mes
parents soient déjà morts, je n’ai plus à m’inquiéter pour eux. Ils sont bien
là-haut, loin du coronavirus.
Mais nous voilà déjà rendu au week-end de Pâques. Long week-end tranquille et sédentaire en
perspective. Le plus drôle c’est que,
pour nous, ce ne sera pas si différent des années précédentes. On se rend
compte que l’on vit plutôt confinés à l’année, bien blottis dans le fond de
notre rang. Je dirais même que la
pandémie nous enlève un certain stress.
Pas de stress d’arriver en retard au cours de natation. Pas de stress d’aller visiter les
beaux-parents. Pas de stress d’aller
voir tel film ou tel spectacle qu’il faut
absolument avoir vu. Pas de stress
de rénover. Pas de stress de voyager avec tes enfants pour leur faire découvrir
le monde. Pas de stress d’avoir une vie
sociale digne de ce nom malgré le travail et les enfants.
Pas de stress.
Mais je vais quand même aller me relaver les mains. Juste pour être sûre.