jeudi 19 avril 2018

Traces de vie

 
Lorsque mon père est mort, il était partout.  Il a quitté sa maison un jour, pour l’hôpital, et il n’est jamais revenu.  Il n’a pas fait sa valise, il n’a pas vendu sa maison pour en acheter une plus petite, il n’a pas fait de séjour dans une résidence auparavant, il est simplement parti.  Il s’est volatilisé du jour au lendemain, laissant tout derrière lui.

          La première fois que je suis retournée chez lui après sa mort, il habitait encore la maison.  Il y avait ses bottes dans l’entrée, ses manteaux dans la garde-robe, de bouts de papier ici et là avec son écriture dessus.  Il y avait ses livres qui traînaient, sa musique dans le système de son, son calendrier d’accroché au mur avec ses rendez-vous de notés.  Il y avait des messages de ses amis sur le répondeur, du courrier à son nom.  Il était également partout dans son érablière, dans sa cabane à sucre, dans sa grange, dans son atelier.  Les choses étaient encore rangées à sa façon, selon son ordre à lui.  Le banc de scie était encore branché, des planches coupées étaient déposées à son côté. Un travail interrompu, jamais repris.  Un pot de vis était ouvert sur l’atelier, la dernière sorte dont il aura eu de besoin, peut-être pour une réparation urgente, oubliant alors de ranger le pot.

          Je me souviens de ma première marche dans l’érablière, il y avait, à un certain endroit, des tronçons d’arbres coupés et cordés. Je me rappelle m’être dit, à ce moment-là, que c’était probablement lui le dernier à les avoir manipulés, quelques semaines auparavant, quelques mois tout au plus. Je le voyais presque, là, juste devant moi, en train de travailler.  Les premiers temps après sa mort, quand j’entrais dans sa cabane à sucre, j’avais l’impression de marcher directement dans ses pas, de toucher ce qu’il venait à peine de toucher.  Peut-être y avait-il même encore des empreintes de ses doigts sur l’évaporateur.

          Deux ans plus tard, que reste-t-il ?  Il ne reçoit plus de courrier ni de message de ses amis.  Je reçois encore des documents au nom de la succession Yves Lacombe, mais bientôt, eux aussi cesseront, effaçant son nom.  Ses vêtements, ses livres, ses disques ont été triés, donnés, rangés.  Le dernier à être passé dans la grange, c’est moi, ma sœur, ma belle-mère, mon chum, ou mes demi-frères.  Nous réorganisons les objets, rangeons à notre façon.  Le sol autour de la maison, les sentiers dans la forêt, les champs, ont été foulés par d’autres, effaçant ses pas.  L’évaporateur a été manipulé par d’autres mains, effaçant l’empreinte de ses doigts.  Les dernières cannes de sirop d’érable qu’il avait achetées ont été remplies, le dernier bois qu’il avait fendu a été brûlé, la dernière sauce à spaghetti qu’il avait cuisiné a été mangée.

          Son souvenir est encore là, dans quelques objets choisis et exposés ici et là, dans quelque façon de faire que nous gardons de lui, dans quelques réparations qui tiendront encore quelques années.  Mais au fil du temps, ses objets deviendront les nôtres.  Les décisions qu’il avait prises, les choses auxquelles il croyait, seront mélangées aux nôtres, pour ne faire plus qu’un, un amalgame, de lui, de nous, des autres avant lui, des autres à venir, comme un bon vin qui se bonifie avec les années.  Sa maison sera la nôtre, ses terres seront les nôtres.  Et tout se mélangera.  De lui, il ne restera plus rien de tangible, de concret. Sa présence deviendra qu’un lointain souvenir.  Il restera une mémoire, une impression, une émotion.  Les souvenirs seront de plus en plus flous et de moins en moins nombreux.  On oubliera jusqu’au son de sa voix.  Je le sais. Ça s’est passé comme ça pour ma maman.

 

jeudi 12 avril 2018

Angoisses nocturnes

 
3h16 Am.  Je me réveille en sueur. J’ai le cœur qui bat à toute allure.  Je pense que je viens de faire un cauchemar.  Mais je ne suis pas certaine. Je ne m’en rappelle déjà plus.  Tout ce que je sais, c’est que je ne me sens pas bien, je suis comme affolée. Tout d’un coup, me voilà hyper réveillée, hyper vigilante, les yeux grands ouverts, comme en plein cœur du jour.  Je suis nerveuse, inquiète.  Mais ce n’est plus le supposé cauchemar qui me perturbe maintenant, c’est l’ensemble de mes pensées qui tourbillonnent dans ma tête de manière confuse.

Je suis couchée sur le côté, dos à mon chum, je regarde le réveille-matin. 3h22. Une pensée s’accroche. J’ai encore oublié de déplacer le rendez-vous chez le dentiste de mon plus jeune.  Il faut absolument que j’appelle demain sinon il va y avoir des frais.  De l’argent gaspillé.  Maudit que je ne suis pas à mon affaire.  Ah ! Et puis, il faut que je prépare mes questions pour ma conseillère financière sinon je vais encore avoir l’impression de perdre mon temps et de ne rien comprendre.  Il faut que je prenne mes finances plus au sérieux et que j’arrête de tomber en convulsion dès que j'entends les mots REER ou intérêts à taux variable.  Il faut que je fasse une femme de moi et que je pense à mes vieux jours, je vais avoir 40 ans, ça peut venir vite.  Je me tourne sur le dos.  Ah, et pourquoi j’ai pris ce rendez-vous-là mercredi soir, je vais être beaucoup trop fatiguée, je n’aurai pas les idées claires. Ouf…J’ai chaud, j’enlève les couvertures. À moins que j’annule aussi le rendez-vous avec la conseillère financière ? Ben non.  Je vais juste reporter le problème à plus tard.  J’aurai juste à mettre mon cerveau en mode cartésien.  J’ai froid, je remets les couvertures.

Je me tourne de l’autre côté, face à mon chum.  Il ronfle.  Bordel.  Je m’essaye sur le ventre. Ah, c’est mieux.  Le réveille-matin indique 3h36.  Ça me pique en-dessous du pied.  Je pense à mon plus vieux qui a tout le temps la pédale dans le fond et qui pogne les nerfs à la moindre contrariété.  Il faut que je m’occupe de cela.  Coudons, qu’est-ce qui cloche avec mes habiletés parentales !? La constance ? Ouin, ça doit être ça…et il faut que j’arrête de crier après mes enfants.  À moins que mon plus vieux ait une T.D.A.H. ? Il faudrait que je le fasse évaluer…au privé ça coûte ben trop cher, je n’ai pas d’assez bonnes assurances.  Moi, je suis souvent dans la lune et j’en perds des petits bouts…il doit tenir ça de moi...Les draps sont sales, il faut que je les lave. Non, je ne suis pas bien dans ce lit-là, à moins que j’aille dormir sur le sofa ?

3h47. Un peu plus de 2 heures avant le grand réveil.  Il faut que je dorme. Je me demande, lorsque Julie m’a dit aujourd’hui, ben hier, que j’avais oublié de l’aviser de tel changement dans notre dossier en commun, est-ce qu’elle était fâchée contre moi ? Tout d’un coup qu’elle ne veut plus travailler avec moi et qu’elle me trouve incompétente ? Et si j’avais oublié de lui transmettre une information encore plus importante, oh, j’aime autant ne plus y penser…Bon, là il faut que je dorme si je ne veux pas continuer à oublier des affaires. Ah ! Zut ! Mon compte visa était à payer pour quand déjà ? Il y a deux jours je pense…Je m’assoie promptement sur le bord du lit, je vais aller faire ça tout de suite avant d’oublier à nouveau.  Je me lève.  Il fait noir.  Il fait froid.  Je suis toute nue.  Ben non, je ne vais pas aller payer ma visa à 4h00 du matin.  Je vais aller faire pipi à la place. On dort toujours mieux la vessie vide.  Après mon pipi, je me promène un peu dans le corridor, je regarde par la fenêtre, j’étire le moment avant de retourner au lit, tout d’un coup que le sommeil finirait par me trouver et part me sauter dessus.  Il ne faudrait juste pas que ce soit les enfants qui me trouvent, des plans pour les traumatiser à vie.  Je me recouche. 4h19. OK, ça fait plus d’une heure que je ne dors pas.  Je suis proche de la crise de panique. 4h20.  J’attrape un vieux chandail sale de mon chum et je le lance sur le cadran, je ne veux plus le voir, on dirait qu’il me nargue, lui pis ses chiffres rouges qui n’arrêtent pas d’avancer.  À moins que j’essaye de compter les moutons ? Au fait, je me demande comment on fait pour faire des émoticônes penchés sur le côté ?

Je finis par m’endormir à je ne sais pas quelle heure (le vieux chandail sale est toujours sur le cadran). Le lendemain matin mon chum me dit : « Coudons, as-tu fait de l’insomnie cette nuit ? Tu n’arrêtais pas de virailler dans le lit. ».  Mmm…perspicace le ronfleur… « À quoi tu pensais ? », ce à quoi je réponds que je ne me souviens plus trop. Aïe ! Je ne suis toujours bien pas pour lui avouer les niaiseries qui m’ont gardée éveillée…parce qu’à la lumière du jour, tout me semble soudainement beaucoup moins grave. 

Tsé, je pourrais avoir un cancer. Ça c’est plate.

jeudi 5 avril 2018

Super héros des temps modernes




En 2018, qui pourraient bien être nos super héros ? Des politiciens puissants, des artistes renommés, des entrepreneurs prospères, des intellectuels notoires ? À chaque fois que je pense à un de ces grands hommes au parcours professionnel impressionnant, je me dis qu’avec tout ce qu’ils ont accomplis dans le cadre de leur travail, ils ne doivent certainement pas avoir eu le temps d’avoir des enfants. Eh bien non, coup de théâtre, ils ont presque tous des enfants !  Ensuite, je me dis qu’ils ne les ont certainement pas élevés, leurs enfants, qu’ils avaient une femme à la maison ou une nounou pour faire ça, pas le choix.  Et puis après, je suis un peu de mauvaise foi et je me dis : « Pfff.  Facile de diriger un pays qu’en tu n’as pas à te demander ce que tu vas manger pour souper et que tu n’es pas stressé d’arriver en retard à la garderie ».

Alors, au risque d’avoir l’air un peu cul-cul, pour moi, les super héros des temps modernes ce sont tous ces pères de famille qui se dépensent corps et âmes pour concilier travail-famille et pour élever leurs enfants eux-mêmes.  Et ce, au risque de subir les regards désapprobateurs de leurs collègues et amis qui croient encore que les enfants c’est une affaire de femmes et que l’homme est un Dieu tout-puissant qui décide de tout.  Ces pères qui s’investissent pleinement dans leur famille, qui en sont partie prenante et qui n’en sont pas simplement des corps non-identifiés qui gravitent en périphérie de celle-ci.  Pis ce n’est pas pour faire ma smat, mais mon chum en fait partie de ces pères-là.

Des pères qui prennent congé de leur travail quand le petit est malade.  Des pères qui vont porter leurs enfants à la garderie, qui discutent avec l’éducatrice et qui se tapent des commentaires parfois déplaisants dans le style : « Jérôme a un trou dans ses mitaines. Il faudrait vraiment les changer. » suivi d’un regard soutenu et culpabilisant dans le genre « Comment se fait-il que ce ne soit pas déjà fait ? ».  Des pères qui gèrent des crises de bacon.  Des pères qui sont eux aussi pas toujours cool, car ils doivent eux aussi mettre des limites aux enfants et non simplement les chatouiller cinq minutes quand ils reviennent de travailler le soir.  Des pères qui changent des couches la nuit.  Des pères qui annulent une sortie avec les amis pour aller à l’urgence avec le petit.  Des pères qui diminuent leur implication au travail pour être plus disponibles pour leur famille (ben oui, pis vous savez quoi, on n’en meurt pas.).  Des pères qui vont aux rencontres de parents à l’école, qui font les lunchs et qui font réviser les tables de multiplications.  Des pères qui ont du régurgit sur l’épaule et de la purée de carottes dans les cheveux.  Des pères qui font l’épicerie avec un bébé qui pleure et un trois ans qui crie.  Des pères qui regardent la météo pour savoir s’il faut mettre le manteau d’hiver ou le manteau de printemps.

Vous êtes mes super héros, car vous contribuez à redéfinir les rôles parentaux, à créer de nouveaux modèles pour vos fils et vous permettez à vos femmes de s’épanouir, elles aussi, dans leur milieu de travail.

En espérant que je n’ai plus à vous voir comme des super héros et que vous serez bientôt devenus la norme.