Je
défais des boîtes. Encore. Au fur et à mesure que je place des objets
dans mon ancienne/nouvelle maison, je sens revenir le passé. Tout doucement. Mes émotions arrivent au compte-gouttes.
Pendant
les premières semaines, il fallait aller vite, placer la chambre des enfants
avant la rentrée scolaire, avoir une cuisine fonctionnelle, être capable de
marcher dans le salon sans risquer de se blesser. Il fallait appeler les assurances, régler une
multitude de détails techniques. Mes
émotions semblaient m’avoir lâchées. Pas
le temps. Il fallait continuer d’aller
de l’avant, rassurer les enfants.
Maintenant,
l’urgence est passée. Il reste les
détails. La lampe à droite ou à gauche
du vaisselier, les Lego au fond ou à
l’entrée du salon ? Les cadres à accrocher, les petits objets à ranger. Il y a aussi tous les objets de mon père qui
sont encore dans la maison, les objets de ma famille, les objets de mon
enfance. J’en retrouve certains au
sous-sol dans une armoire, je les reconnais aussitôt, même si je ne les ai pas
vus depuis plus de 30 ans. Il y a mon
jeu de mémoire 12 wigwams, tout
poussiéreux. Il consiste en 20 petites figurines d’indiens de quatre couleurs
différentes qu’il faut cacher sous les tipis.
Je prenais toujours les rouges, je les reconnais. Je joue un soir avec mes enfants et ma
sœur. Mon cadet tend spontanément la
main vers les indiens rouges, j’ai un pincement au cœur, j’hésite à les laisser
entre les mains de quelqu’un d’autre, fût-il mon propre fils. Alors, je cache les petits indiens (les jaunes
cette fois) sous les tipis et je me rappelle de façon très nette la joie que
j’éprouvais à l’époque où je jouais avec ma sœur et mes parents (un tel jeu
serait impensable aujourd’hui, genre full
appropriation culturelle).
Il y a
aussi les assiettes pour la fondue chinoise et les petits bols multicolores
pour les sauces. Juste à côté des bols
pour la soupe à l’oignon (que ma mère faisait avec les restes de bouillon de la
fondue). Il y a le plat en pyrex dans lequel mon père faisait
chauffer le maïs en crème pour son classique poulet BBQ-patates frites-maïs en
crème.
Il y
a, dans le bureau au 2e étage, deux tiroirs qui ne semblent pas
avoir été touchés depuis plus de 20 ans.
Ils contiennent encore des effets personnels de ma mère. Dans le
premier, tout son matériel à dessin. Elle avait débuté des cours quelque temps
avant sa mort. Tout est là, tel que dans
mon souvenir, indemne. Pas un crayon n’a
été aiguisé depuis, pas une feuille n’a été noircie. En déplaçant les objets, je reconnais
tout-à-coup mon écriture d’adolescente au fond du tiroir. J’ai écrit maman. Je me souviens que je
faisais souvent mes devoirs à cet endroit. J’ai dû griffonner ça dans un moment
d’égarement, entre deux résolutions d’équations du second degré. Mon écriture est là, tout simplement, au
milieu des trucs de ma mère, comme si cela datait d’hier. Dans l’autre tiroir, il y a son kit de
couture, encore une fois identique à dans mon souvenir. Toutes les bobines de
fils, toutes les aiguilles, tous les boutons, tous choisis et placés là par ma
mère, ils sont là, figés dans le temps, dans ce tout petit espace, c’est comme
si une partie de son âme était encore là.
Je ne touche à rien et referme le tiroir. Je ne sais pas coudre. Elle n’a pas eu le temps de me montrer.
Dans
le fond d’une boîte, je retrouve la vieille montre de ma mère, arrêtée à
l’heure de sa mort. Je la remets dans la
petite armoire à bijou encastrée au mur dans la chambre de ma mère, dans ma
chambre. Les larmes me montent au
yeux. Je referme la porte. Je me sens bien. Enfin, une émotion plus forte qui
m’emporte. Enfin, je commence à me
déposer dans mon ancienne/nouvelle maison.
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