jeudi 28 mars 2019

Comment survivre à sa fratrie ?



Comment survivre à ces êtres dont on peut se sentir si proche et si loin à la fois ? Ces êtres dont le même sang coule dans nos veines, mais qui nous semblent parfois si étrangers ? Ils sont dans notre vie depuis si longtemps, connaissent nos moindres défauts, nos plus grandes qualités, ont connu nombre de nos tourments, de nos blessures, de nos joies, témoins privilégiés de notre enfance et de notre adolescence.  Ils ont été nos partenaires de jeu, nos confidents, nos plus grands rivaux, l’ennemi à abattre, ils sont comme une partie de nous-même, issus de la même chaire, ayant été exposé aux mêmes valeurs, à la même éducation.  Et pourtant.
            Combien d’autres personnes a-t-on tirées par les cheveux avec agressivité, mais également appelées en renfort lors de grandes peines ?  Qui d’autre a-t-on déjà traité de grosse conne pour après lui dire une chance que je t’ai ?  Un frère.  Une sœur.  Une famille.  Source de stabilité et d’enrichissement, mais aussi d’injustices, de questionnements, de désire de plaire, d’attentes souvent déçues.
            Comment survivre à l’aîné, tyrannique et sans pitié ? Oui, cet aîné qui veut tout contrôler, toujours, tout le temps, qui tient à ses idées et qui trouvera un moyen de te les faire avaler, coûte-que-coûte.  Cet aîné qui est toujours plus grand, plus fort, qui a toujours une longueur d’avance.  Cet aîné qui fait peur, qui sait comment te faire sentir encore plus petit, qui a toujours une plus grande étendue d’insultes à sa disposition. Comment survivre à cet aîné qui a la plus grande chambre, les vêtements les plus neufs, qui peut se coucher plus tard, mais qui se sent tout-de-même inévitablement lésé dans ses droits, qui a la perpétuelle impression qu’on le néglige et qu’on l’aime moins ?
            Comment survivre au cadet, charmeur et manipulateur ?  Comment survivre à son sourire innocent qui fera qu’on lui pardonnera pratiquement tout ? Ah, ce cadet qui agace, qui picosse, qui sait se faufiler dans des endroits interdits dans le seul but de faire réagir ? Comment survivre à ce cadet qui sera toujours le plus petit, le plus mignon, le plus adorable, celui qu’on sentira toujours le besoin de protéger ? Ah oui, ce cadet qui flotte, qui n’est sûr de rien, qui prend son temps. Ce cadet qui sait aller chercher les compliments et se faire aimer.
            Comment survivre à tous les autres, allant du frère bougon à la sœur frivole, en passant par celui qui est toujours dans les embrouilles et par celle trop sérieuse qui veut se substituer aux parents ?  Comment survivre à l’indépendant que l’on ne voit jamais et au dépendant que l’on voit trop souvent ?
            Comment survivre aux souvenirs, heureux ou malheureux, qui refont toujours inévitablement surface ?  Comment se bâtir un présent et un futur harmonieux sur la base de ce passé commun ? Je ne sais pas.  Mais, chose certaine, sans notre fratrie, nous ne serions pas les mêmes.
           

jeudi 21 mars 2019

Le malheur des autres



Le malheur des autres fascine.  Inconsciemment, comme une pulsion innée qui nous pousse à tendre l’oreille lors d’une conversation tumultueuse à la table d’à côté, qui aiguise notre regard lorsque l’on voit des titres de journaux annonciateurs de catastrophes, qui nous fait ralentir devant une scène d’accident.
            Je ne veux pas dire que je me complains dans le malheur des autres ou que j’y suis insensible, bien au contraire, mais le malheur m’interpelle.  En file à la caisse au supermarché, mon regard se promène sur les titres des magazines : « Untel se confie sur sa dépendance à l’alcool et aux drogues », mon regard s’accroche, je veux en savoir plus, comment a-t-il pu en arriver là, lui qui a vécu de si grands succès ? « Unetelle nous parle des joies de sa nouvelle vie de maman ». Ark.  Qu’est-ce qu’elle a à nous faire chier celle-là ?  Elle pense qu’elle vient d’inventer la maternité ? Qu’elle nous fiche la paix avec l’étalement de son bonheur.
            Et oui, je l’avoue, je suis la première à sourire en coin lorsque j’apprends qu’une personne que je croyais parfaite a soudainement une ombre qui se dessine au tableau.  Elle est belle, elle est bonne, elle a une carrière remarquable.  Mais, elle n’a pas pu avoir d’enfants. Pfff.  Elle ne connaîtra pas les joies de la maternité.  Un couple riche et idyllique, mais leur fils unique a des troubles d’apprentissage. Humm.  On ne peut pas tout avoir.  Il a tous les talents, mais sa femme vient de le sacrer là. Ah ! Ah ! Il n’est peut-être pas si parfait qu’il en a l’air.
            La découverte de failles chez les autres m’apaise.  Est-ce que c’est malsain? Peut-être.  Est-ce un manque de confiance en moi? Peut-être.  Ce que je sais, par contre, c’est que les failles des autres me les rendent plus humains, plus sympathiques, me rassure sur mes imperfections, empêche l’idéalisation, me donnent envie de les connaître davantage.
            Peut-être aussi que le malheur des autres nous rappelle notre propre bonheur, le met en lumière, le fait sortir de l’ombre, nous le fait apprécier.  Alors que leur bonheur ne peut que nous confronter à nos malheurs, petits et grands.
            On se compare toujours aux autres, c’est pratiquement inévitable, comme si cela était déjà programmé dans notre ADN.  Même si l’on tente de se concentrer le plus possible sur son soi-même, sur ses propres défis, sur ses propres progrès, la vie nous place toujours vis-à-vis des autres (tests d’admission, classements, étoiles du match, nombre de minutes de jeu, résultats scolaires, entrevue d’embauche, performance statistique, cotes d’écoute, récompenses, prix, trophées, mentions d’honneur, grosseur du chalet, nombre de voyages, réussite sociale, apparence physique et bien entendu les réseaux sociaux et leur nombre de likes), c’est quasi impossible de faire comme si tout cela n’existait pas, de ne pas en tenir compte.
            Le jour où je réussirai à ne plus me comparer à personne et où je pourrai être simplement et purement heureuse pour les autres, je pense que je pourrai dire que j’aurai atteint la sagesse.

jeudi 14 mars 2019

Le 9 mars



C’est la date de l’anniversaire de feu mon papa.  Il aurait 71 ans aujourd’hui.  Mais la vie a voulu que son chemin s’arrête à 68 ans.  Bientôt 3 ans qu’il n’est plus avec nous.  Mine de rien, nous remplissons tranquillement le vide qu’il a laissé derrière lui, une pierre à la fois. 
Ce matin, je regarde une photo de lui que ma sœur a mise sur Facebook.  Une photo de lui dans sa cabane à sucre.  Je bois mon café en le regardant, longuement.  Je m’aperçois que ça fait longtemps que je ne me suis pas arrêtée à contempler son image, malgré les photos dispersées un peu partout dans la maison.    Son souvenir est encore bien vivant, mais son image se fragilise, ses traits s’estompent peu à peu dans mon esprit, le contour de son visage n’est plus aussi distinct qu’avant.  D’où le fait probablement que je m’attarde longuement sur sa photo, comme si je voulais m’imprégner à nouveau de son image.
Tout en le regardant, je m’aperçois que je bois mon café dans la tasse que je lui avais offerte pour sa fête il y a quelques années de cela.  Récupérer un cadeau que l’on avait offert à quelqu’un, c’est d’une tristesse infinie.  Un cadeau, c’est à sens unique, tu l’offres sans rien attendre en retour, un souvenir de soi que l’on laisse à l’autre, ce n’est pas supposé nous revenir, il perd alors toute sa signification.  Que faire alors de cette tasse, m’en débarrasser, la donner à quelqu’un d’autre ? Et pourquoi pas, au fond ? Elle pourrait alors continuer sa vie de tasse significative dans les mains de quelqu’un d’autre au lieu d’être là, inerte entre les miennes, me rappelant seulement que mon père ne pourra plus jamais rien recevoir de moi, que je ne pourrais plus jamais rien lui offrir.  Les premiers temps après sa mort, je me surprenais encore à laisser errer mes yeux dans les boutiques à la recherche d’objets qu’il aurait pu aimer et, à chaque fois, je devais me rappeler qu’il était mort et que ce repérage ne servait plus à rien.  Pour ses 70 ans, j’aurais voulu l’amener dans le sud, lui faire une surprise, une vraie.  Je n’aurai pas eu le temps.  Ce temps qui nous semble infini et qui tout d’un coup rétrécit sous nos yeux.
En ce 9 mars, on fête les autres membres de ma famille nés en ce troisième mois de l’année, les martiens comme on les appelle.  Mon demi-frère d’abord, né le 9 mars également, ma belle-mère, née le premier et ma sœur, née le 19.  Un mois fécond dans notre famille, beaucoup de vies ont vu le jour en ce premier mois du printemps.  Nous célébrons dans sa maison.  Je sais que c’est grâce à lui que nous sommes là, que nous sommes réunis. Je le vois nous regarder de là-haut et nous sourire.  J’imagine qu’il voudrait encore être là, à nos côtés, ne serait-ce que pour grogner un peu contre tout un chacun et nous dire que franchement, à 71 ans, il était encore beau.

jeudi 7 mars 2019

La beauté de l'imparfait



Ce matin, je lis ma Presse + et je tombe sur cet article de Marie Allard (d’après une étude de Chantal Bayard) : Quand les célébrités allaitent sur Instagram. Je soupire.  J’hésite à swiper par en haut pour voir les photos.  Est-ce que j’ai vraiment le goût de voir ça en ce vendredi matin, la glamourisation de l’allaitement ? Pas sûr.  Y paraît qu’il y a de bonnes intentions derrière tout ça, que ce n’est pas simplement de l’autopromotion.  Humm. Pas convaincue.
            Ces photos permettraient aux célébrités d’inscrire leur maternité dans leur trajectoire professionnelle.  OK, d’accord, tu peux avoir des enfants, allaiter et continuer d’avoir une vie, tu n’as plus besoin de rester cachée chez vous en marge du monde.  Une femme, ça peut aussi être une maman et une maman, ça allaite.  Good.  Qu’on se le tienne pour dit, on ne sépare pas comme ça la femme de carrière de la maman, une femme c’est un tout.  Nous sommes un tout.  Nous pouvons embrasser plusieurs destins. J’avoue que là, c’est un message qui me parle.
            Bon, ensuite, certaines célébrités disent ainsi participer à un mouvement de normalisation de l’allaitement.  Ark. C’est là que ça accroche.  Voyons voir ces photos, allez swipe en haut. Elle, elle a un foulard dans les cheveux qui match avec sa décoration murale.  Évidemment.  Elle, elle regarde la caméra d’un air langoureux, la bouche entrouverte, la main négligemment posée sur son sein libre.  Naturellement. Continuons, continuons. La famille idéale maintenant.  Les parents qui s’embrassent, le bébé qui tète et le grand frère qui dort. Un classique. Elle, elle fait la couverture d’un magasine.  Maquillage, bijoux, vêtements griffés.  Tout simplement.  C’était quoi le but de ces photos déjà ? Ah oui, la normalisation de l’allaitement.  Bien sûr, entre elles et moi, il n’y a qu’un pas, je peux aisément m’identifier.  Inutiles de mentionner que vous ne verrez ni vergeture, ni sein engorgé, ni feuille de chou, ni d’yeux cernés sur ces photos. Oubliez aussi les coussins d’allaitement pastels et l’empilage d’oreillers et de coussins pour tenter d’avoir un peu de confort et de ménager son dos et ses bras. Ah, non ! On allaite debout, droite comme la justice, faisant face à l’adversité, le bébé pendu au bout du sein.
            Et là, je me mets à swiper avec agressivité.  Fais chier.  Comme si les mamans n’avaient pas déjà assez de pression comme ça.  La plupart des photos sont sexy à souhait.  Non seulement il y a une pression sociale pour allaiter, mais en plus il faut maintenant allaiter de manière sexy. Give me a break. C’est quoi la prochaine étape ? Des vidéos d’accouchement sur youtub avec musique d’ambiance ? Après tout, il faut aussi normaliser les accouchements naturels.  Un papa en torse nu sexy qui tient amoureusement la main de sa compagne coiffée et maquillée qui pousse dans l’allégresse ?  Va-t-on trouver une façon de rendre sexy un vagin qui déchire ?  Va-t-on glamouriser la douleur des contractions ?  Voici ma face souffrante mais sensuelle, yeux mi-clos, lèvres pulpeuses, mains manucurées posées sur le ventre en douleur.  Les célébrités vont-elles ensuite montrer leurs seins naturels post-allaitement ? Ceux-là même qui ne peuvent résister à l’appel de la gravité ? Les péripéties de Bianca Longprés, alias mère ordinaire, peuvent bien avoir suscités un tel engouement au Québec, ça prend un contrepoids.  Toute cette perfection est étouffante, il nous faut la faire craquer, question de pouvoir souffler un peu.
            Mais ne vous méprenez pas, je la trouve belle la maternité.  Je pense sincèrement qu’elle doit être célébrée. Mais célébrée dans toute la beauté de ses imperfections.  C’est beau une maman qui allaite en mou avec une queue de cheval et qui regarde son bébé avec des yeux fatigués, mais attendris.  C’est beau une femme enceinte qui ne pose pas, qui est juste là avec son sourire, sa bedaine et ses doutes. C’est beau une mère qui pleure de joie et de désespoir quand son bébé voit enfin le jour.  C’est beau une maison de nouveau-né avec des pyjamas, des couvertures, des couches et des suces qui traînent un peu partout.  C’est beau ce mélange d’inquiétudes et d’amour qui émanent de chacun des gestes des nouveaux parents. 
            
Gloire aux ventres mous qui ont portés, aux seins pendants qui ont allaité, aux yeux cernés qui ont veillé.
           
Gloire à l’imperfection.
           
Normalisons. Pour de vrai.