vendredi 30 mars 2018

Vivre sans sa mère


Ma mère est morte quand j’avais 16 ans.  Quand j’ai eu mon premier enfant et que je suis devenue mère à mon tour, j’en avais 28.  Douze ans plus tard donc. Après douze années, le mot maman reprenait du service, il brillait d’un éclat nouveau.  Il ne portait plus seulement l’absence en lui, il était le présent. Il pouvait être dit de façon légère et insouciante, il pouvait à nouveau être associé au bonheur.  J’étais moi aussi une maman. 
Mais j’étais une maman sans maman pour la guider sur le chemin des mamans. Des fois, je suis fière du chemin que j’ai parcouru seule, sans ma mère à mes côtés pour me supporter.  D’autres fois, je suis en maudit.  J’en veux à toutes celles qui ont des mères (je le sais, ça fait pas mal de monde).  Je les envie d’avoir des mères qui peuvent les aider à surmonter toutes les difficultés que la maternité met sur leur chemin et qui peuvent en partager toutes les joies. Surtout, je les envie d’avoir des mères qui peuvent les comprendre.
          Je me rappelle cette salle d’allaitement d’un centre d’achats, où j’étais bien assise en train de nourrir à même mon sein mon premier rejeton alors âgé de 4 mois et, dans la chaise berçante de biais à la mienne, il y avait cette autre maman, avec un bébé plus petit que le mien, qui était elle aussi en train de l’allaiter.  Cette nouvelle maman avait sa propre maman à ses côtés et celle-ci prenait le bébé, entre deux seins, pour lui faire faire son rot.  Elle  sortait aussi la bouteille d’eau du sac pour la donner à sa fille,  elle lui tenait ses compresses,  elle mettait de l’ordre dans le sac à couche.  Comme je m’étais sentie seule à ce moment.  Bien que je ne fusse pas malheureuse de ma situation, je venais de réaliser combien ma vie aurait été plus facile si ma mère avait été encore de ce monde.  Ce moment m’a tellement marquée que je me rappelle encore comment mon fils était habillé cette journée-là : une salopette bleue avec des vieilles attaches et un chandail rayé rouge et blanc.
          Encore aujourd’hui (mes enfants étant maintenant âgés de 6 et 9 ans), il m’arrive de ressentir cette solitude, cette colère diffuse.  Avant les fêtes souvent,  pendant les longs week-ends aussi.  Je n’ai plus de maman pour m’inviter à des soupers de famille (et depuis deux ans, je n’ai plus de papa non plus, mais ça, c’est une autre histoire).  Je les entends, les autres parents, à la salle de pause ou au cours de natation : « On va souper chez mes parents dimanche. Ouf, ça fait du bien de ne pas avoir à penser au souper ! Pis ils aiment tellement ça s’occuper de leurs petits enfants !», « Mes filles vont passer la relâche chez papi et mamie.  Elles vont se faire gâter ! »,  « Jardiner, ça c’est une activité qu’il fait avec sa grand-maman».    
           Moi, je n’avais pas de maman à appeler pour lui dire que je trouvais ça difficile en tabarnouche de s’occuper d’un nouveau-né, je n’avais pas de conserves de betteraves ni de cornichons marinés ni de crème de zucchini qui m’attendaient, toutes prêtes, pour me donner un coup de main dans ma nouvelle vie de maman, pas non plus de maman à appeler pour annoncer en grande pompe d’un ton hystérique que mon terrible two était maintenant propre, pas de maman pour partager mon émoi de mère de voir mon petit grand garçon quitter pour la maternelle dans un autobus jaune beaucoup trop grand pour lui, pas de maman pour partager ma perplexité quand il me dira, quelques années plus tard : « Ce n’est pas toi qui décide de ma vie ! ». À chacun de ces moments, et à combien d’autres, elle m’a manquée.
          Aujourd’hui, je suis fière de mes garçons, fière de ce qu’ils sont, fière d’être une bonne maman (pas parfaite là, on s’entend). Et si je suis une bonne mère pour mes garçons, bien ça doit être un peu grâce à elle, à l’éducation, aux valeurs et à l’amour qu’elle m’a transmis pendant ces 16 années où elle s’est occupée de moi.
 
 
 

jeudi 22 mars 2018

Pouvoir de séduction


          Bon.  Ce texte-là, ça prend quand même un peu de courage pour l’écrire.  Parce qu’en fait je veux vous parler de mon non-pouvoir de séduction.  De ce que je n’ai jamais compris, de ce que je ne comprendrai probablement jamais. Et quand je parle de séduction, je parle de séduction au sens large, dans le style  séduire et/ou charmer, un autre être humain ; homme ou femme, jeune ou vieux, homo ou hétéro.

          Oui. C’est comme s’il me manquait ce chromosome-là, le chromosome de la séduction.  Aucune idée quoi dire.  Aucune idée quoi faire.  Le néant.  Le trou noir.  Le vide abyssal.

          Déjà enfant, les précurseurs de la séduction n’étaient pas très développés chez-moi. Vous savez, tous ces petits gestes que font quasi instinctivement les enfants dans le but de plaire aux adultes ou aux autres enfants ? Sourire en coin à la caméra, câlins spontanés aux tantes et aux cousins, ton de voix un tantinet mielleux pour obtenir un privilège, face de mignon qui fait fondre la galerie.  Moi, on aurait dit que je ne comprenais pas ce langage-là.  J’avais plutôt tendance à regarder les adultes que je connaissais peu d’un air méfiant et à jouer toute seule dans mon coin.  Je n’aimais pas qu’on m’accorde trop d’attention, cela me mettait profondément mal à l’aise.

          À l’adolescence, évidemment, la situation ne s’améliora pas.  Mon inaptitude à séduire atteignit des sommets inespérés.  À mon grand manque de confiance en moi, s’ajouta tous les questionnements relatifs à cette période, de la recherche identitaire à la complexité des relations amicales et amoureuses, le tout parallèlement à des transformations physiques pas toujours heureuses.   Trop de bras, trop de tronc, pas assez de jambes, des lunettes, des broches et une posture corporelle dans le style si je pouvais disparaître ce serait super. J’avais également développé à l’époque une légère tendance à la paranoïa.  Si un regard se posait sur moi, c’était pour me juger.  Si on tentait de m’approcher, c’était pour se moquer.  Si on chuchotait en ma présence, c’était pour énumérer mes défauts.  J’étais persuadée que peu de gens me tenait en haute estime.  Quelle était la part de vérité et la part de perception dans tout cela ? Je ne sais pas.  Probablement plus de perception que de vérité.  Chose certaine, loin de moi était l’idée de pouvoir séduire qui que ce soit.

          Par la suite, une fois l’âge adulte atteint, je n’arrivais toujours pas à maîtriser cette mécanique séductrice (ou bien ma mécanique à moi manquait sérieusement d’huile).  Souvent, je remarquais cette danse subtile (ou pas) chez les autres femmes.  Rire cristallin et tête renversée en arrière.  Main posée sur le bras pour appuyer un propos.  Cheveux qui effleurent un visage.  Intérêt soudainement marqué pour quelque chose de banal.  Frôlement accidentel.  Joie de vivre décuplée.  Bonheur feint.  Regard sérieux et profond.  Bienveillance inespérée.  Tempérament avenant et conciliant. Pourtant, incapable j’étais, de reproduire tout cela.  J’avais toujours l’impression de sonner faux comme un vieux disque. 

Encore aujourd’hui, jamais je n’oserais faire les yeux doux à un policier pour éviter une contravention.  Je ne pourrais jamais non-plus réussir à distribuer savamment les compliments et les flatteries pour assurer mes arrières ou pour bénéficier de petits privilèges, aussi minuscules soient-ils.  Toutefois, il faut avouer que j’ai longtemps pensé qu’adhérer à cette pratique faisait de moi un être superficiel et méprisable.  Que le temps mis à peaufiner l’extérieur annulait ce qu’il y avait à l’intérieur.  Je sais aujourd’hui que l’un n’empêche pas l’autre.  Je peine toujours toutefois à me trouver des qualités de séductrice.  En fait, tout ce qui me vient à l’esprit c’est quelque chose dans le genre : je suis sympathique, ponctuelle et j’ai une bonne hygiène corporelle !!!

Mais parfois, pour m’encourager un peu, je me dis que peut-être qu’au fond la magie opère malgré moi, comme une espèce de danse totalement inconsciente… .

           

 

jeudi 15 mars 2018

LE TOP 5 DES CHOSES DONT JE VAIS M’ENNUYER, OU PAS, QUAND MES ENFANTS SERONT GRANDS.




Je vais m’ennuyer de :

5. De leurs rires.  De leurs rires de bébé, d’enfants ou même de leurs rires de pré-ado qui se foutent de la gueule de leurs parents.
4.  De sentir que l’on est une famille, un groupe, que l’on dépend les uns des autres.  De la hâte qu’on a de se retrouver le soir venu.
3. Des phrases comme : « Maman, j’ai fait un cauchenoir ! », « Regarde papa ! Le tracteur a tout mélangé le champ ! », « Maman, comment j’ai fait pour sortir de ton ventre sans tout le briser ? », « Papa, ton steak sent les fraises brûlées ! ».
2.  Des petites têtes sur mon épaule lorsque je raconte l’histoire du soir.
1.  De la facilité de leur faire plaisir et de les rendre heureux.

Mais, je ne vais pas m’ennuyer de :

5. De traîner des collations partout.  Je retrouve toujours de vieilles barres granola toutes émiettées à différents endroits : dans les pochettes du sac à couches, dans ma sacoche, dans le sac de plage, dans le coffre à gants de l’auto, dans le bac de dinosaures, dans le gazon à côté du carré de sable au printemps quand la neige fond…  Et il me semble que je n'entends que trop souvent la voix de mon chum qui dit : « As-tu apporté des collations ? », « Apporte donc des pommes comme collation. », « Est-ce qu’il reste des barres granola ? », « Est-ce qu'on amène les gourdes d'eau ? », « Penses-tu qu’ils vont avoir faim ? Ça prendrait des collations. ».
4. Des journées spéciales. Que ce soit à la garderie ou à l’école, j’ai toujours peur d’oublier une de ces journées spéciales.  Journée pyjama, déjeuner partage, chandail rouge pour la Saint-Valentin, accessoire vert pour la journée de l’environnement, cinq rouleaux de papiers de toilettes à apporter pour un bricolage spécial en classe, un jouet à amener pour la période récompense du vendredi, etc.  C’est clair qu’un jour ça va arriver ; mon fils va être le seul avec un chandail noir la journée des chandails blancs et il va crever de faim au dîner partage parce que je vais avoir oublié la salade de macaronis.
3. Des présentations orales.  Parce qu’on s’entend qu’un enfant de maternelle ou du premier cycle du primaire, ça ne peut pas préparer sa présentation orale tout seul.  Donc, à nous, parents, la recherche sur le lièvre d’Amérique ou sur mon artiste préféré alors que l’enfant, lui, ne comprend pas trop ce qu’il est en train de faire.
2.  Des bonbons.  Parce que ce n’est plus juste à l’Halloween que les enfants reçoivent des bonbons. C’est pour tout type de fêtes confondues ; la leur, celle de leurs amis, celle de la fratrie, la Saint-Valentin, Noël, Pâques, la fin d’étape, la fin d’année, la fin du cours de gym, la fin du cours de natation, parce qu’ils ont perdu une dent, parce qu’ils mettent un pied devant l’autre…
1. Des bébelles.  Tous ces petits jouets cheap dont les enfants raffolent.  Que ce soit la mautadine de glue collante dégueu qui ne colle plus après cinq minutes. Ou bien le petit jouet à remonter qui casse en dix morceaux après trois utilisations.  Ou encore le petit pot de bulles à savon qui manque d’hyper ventiler les enfants qui tentent de faire des bulles avec et qui se renverse en moins de trente secondes.

          Comme quoi il vaut mieux profiter des beaux moments en famille lorsqu’ils passent, sans rien forcer, et se dire que les moins beaux moments seront vites de vieux souvenirs qui nous ferons rigoler les vieux jours venus.

jeudi 8 mars 2018

La cinquième saison


La meilleure de toute.  Courte et intense.  Ma saison préférée.  Un pied dans l’hiver et un autre dans le printemps.  Le temps des sucres.

          Chaque année, la même fébrilité.  Il est 17h30, il fait encore clair.  Il est 6h30 le matin, le foyer ne fonctionne pas et on est bien dans la maison.  Pire encore, les chats veulent sortir dehors, ils grattent la porte, ils le sentent que le printemps est à nos portes, que l’hiver tire sa révérence.  Ils le sentent qu’il fait suffisamment chaud pour bouder la litière et aller faire leur petite commission à l’extérieur.  C’est encore l’hiver, mais plus pour longtemps.  Le manteau se détache en après-midi, les mitaines reviennent détrempées de l’école, les oiseaux chantent et le soleil nous réchauffe.  La douce mélodie du ruissellement de l’eau, le chant de la libération, de la vie plus facile qui refait surface.  C’est avec une joie non feinte que je laisse mon foulard choir un fond de la garde-robe et que j’enferme mes mitaines au fond de mes poches.  Je souris presqu’à chaque rebond de mon auto sur un nid de poule, car cela signifie que la ligne d’arrivée est en vue.  Ça y est, on a réussi, on a survécu à un autre hiver, les froids sibériens sont maintenant derrière nous.

          Le temps des sucres est arrivé, la saison de la boue et de la neige molle est de retour.   Quelle excitation que j’ai de célébrer ce passage de l’hiver au printemps en entaillant quelques érables pour récolter leur sève sucrée. Quel bonheur de se lever le matin et de partir à la cabane à sucre avec mes grosses bottes à vaches doublées, mon pantalon imperméable, ma chemise de chasse, mes vieux gants troués, mon lunch et mon euphorie printanière.  Quel privilège de pénétrer dans la cabane à sucre froide et silencieuse, d’y partir un feu, de calibrer le thermomètre, d’installer les filtres, d’ouvrir les panneaux, de lancer la machine.  Quelle joie de sortir la vieille chaise berçante en bois de mon père à l’extérieur et de s’y détendre quelques instants en écoutant la faune qui se réveille.  Quelle chance de pouvoir sentir la chaleur monter tranquillement, de voir la cabane se saturer de vapeur sucrée, de sentir l’odeur de la terre qui dégèle et celle du sirop enfin prêt.  Que d’amusements à regarder cette neige mouillée qui tombe à gros flocons en sachant pertinemment que c’est peut-être la dernière de la saison.  Quelle félicité de retourner tout doucement vers la maison à 18h00 et des poussières encore à la lumière du jour avec deux nouveaux gallon de sirop d’érable, la peau du visage bronzée et les doigts collés.

          C’est ma cinquième saison.  Celle de la fin et du début.  Celle du chaud et du froid.  Celle de l’espoir et de la renaissance.  Celle de mon père.  Celle de la famille et des amis.

jeudi 1 mars 2018

Les beaux garçons

 

 

Ben non là, je ne veux pas parler de Brad Pitt ou de Johnny Depp (comme dans Tout le monde a besoin d'un Jean-Philippe Wauthier), mais plutôt de mes enfants, que j’appelle comme ça depuis qu’ils sont nés.  Ils sont souvent source d’angoisses et de soucis, ces petits fripons, mais aujourd’hui, j’ai le goût de vous parler de quand ils sont beaux.

Il est beau mon aîné, quand il me regarde avec son air songeur et me demande comment le premier roi a fait pour devenir un roi (et, c’était qui, au fond, ce premier roi).  Ce à quoi je réponds, comme à chaque fois que je suis larguée : « Va demander à papa.  Il est bon là-dedans. ».  Il est beau quand il m’explique la différence entre un léopard et un guépard.  Il est beau lorsqu’il reconnaît un lémurien à la télé et qu’il m’annonce que cette espèce vivait au temps des dinosaures cinq minutes avant que l’animateur ne le fasse.  Il est  adorable quand il vient de saisir une blague que j’ai fait et qu’il en rit à gorge déployée.  Il est presque trop beau lorsqu’il me serre dans ses bras en me disant qu’il est content que je sois sa maman.

Il est beau mon cadet lorsqu’il me regarde avec son petit air espiègle en me demandant s’il peut écrire dans son journal intime, quand il est fâché, que papa a une face de cornichon.  Il est craquant quand il m’imite faire mes exercices faciaux anti double-menton (ben oui, je suis rendue là).  Il est beau lorsqu’il se fait lui-même, et de sa propre initiative, une petite liste où il écrit chaque jour de la semaine s’il doit prendre l’autobus ou aller au service de garde.  Il est beau avec son regard fier quand il m’aide à transporter les sacs d’épicerie.  Il est presque trop beau quand il me dit : « Maman, tu es belle comme un arc-en-ciel » et qu’il est tout content d’avoir fait une phrase qui rime.

Ils sont beaux mes garçons quand ils décident, pendant les vacances des fêtes, de jouer une partie d’échecs au petit matin en mangeant un bol de cherrios.  Ils sont beaux l’été quand ils ont les lèvres toutes bleues et qu’ils grelottent de la tête aux pieds après s’être baignés tout l’après-midi et qu’ils me disent, après une pause de 5 minutes : « Maman, on y retourne ».  Ils sont beaux lorsqu’ils alignent pratiquement tous leurs jouets d’un bout à l’autre de la maison en disant qu’il s’agit là de leur armée respective.  Ils sont beaux quand ils se déguisent en espions et s’amusent à se cacher de nous.  Ils sont beaux lorsqu’ils se sauvent des vagues lors de nos vacances à la mer.  Ils sont beaux lorsqu’ils peinent à contrôler leur joie : « Maman !!! J’adore mes nouveaux bas !!! », « Maman !!! J’ai vu une baleine !!! ».
Ils sont beaux.  Ils ont l’œil brillant et l’esprit vif.  Et surtout, ils sont plus que beaux lorsqu’ils sont dans les bras de Morphée.  Des anges.