jeudi 2 juillet 2020

Mon enfant tourbillon


Il est encore petit, que dis-je, il est minuscule.  Six semaines à peine.  Déjà, il ne dort pas beaucoup.  Tout juste deux siestes de vingt minutes durant la journée. Bien sûr, parfois il peut roupiller pendant deux heures au milieu de l’après-midi ; un événement que je sais non-récurrent, une pause improbable dont je profite difficilement, imaginant ma petite boule de vie malade ou inerte.

Mon entourage me conseille : fais-le dormir à l’extérieur, l’air frais c’est magique ; fais-lui faire sa sieste dans la poussette, tu vas faire un petit tour et hop, dodo ! L’air frais ne nous a jamais été d’aucun secours.  Le tour de poussette s’est vite transformé en marathon du style tu roules comme une malade pendant 45 minutes avant qu’enfin il ne coopère et se décide à fermer les yeux et dès que tu immobilises la dites poussette plus de deux minutes le réveil est instantané.  Il ne nous restait plus que la ballade en voiture, efficace en l’absence de stop ou de lumières rouges.

Mon petit tourbillon, il vocalise, il babille, il manifeste sa présence de quelque façon que ce soit.  Le siège vibrant, la balançoire qui chante, les jouets qui brillent ne lui suffisent pas ; il a besoin de plus. Il a besoin d’une interaction en face à face, de mimiques loufoques, d’une implication émotive digne de ce nom ; il ne se contente pas d’une petite vie de bébé tranquille à regarder les feuilles bouger sous le vent.  À dix mois, quand il replace les images magnétiques sur le frigo dans le mauvais sens et que celles-ci chutent au sol, il les lance à bout de bras en hurlant. 

Depuis toujours, il a cette énergie qui nous laisse pantois.  Cette intensité plus grande que nature.  Cette batterie qui se recharge à vitesse grand V.  Je me rappelle ses cris de joie lorsqu’il a reçu ses petites voitures de Flash McQueen le Noël de ses trois ans.  J’ai cru un moment qu’il s’évanouirait de bonheur.  Je me souviens aussi de cette activité spéciale dans la classe de prématernelle où les enfants devaient fouiller dans une grande boîte en carton pour se concocter un costume qu’ils porteraient ensuite pour une sympathique parade dans les couloirs de l’école.  Mon petit tourbillon, lorsqu’il faisait une trouvaille, il l’extirpait de la boîte dans un mouvement grandiose de victoire et de célébration.  Ces accessoires se transformaient en éléments fabuleux qu’il portait fièrement, que ce soit une perruque de clown, de vieilles brettelles ou de grandes pantoufles multicolores.  Et tout cela sous l’œil ahurit de ses camarades, beaucoup moins enthousiasmes face au contenu de la boîte.

 Mais, bien évidemment, avec la joie excessive venaient également les crises toutes aussi excessives.  Des crises qui ébranlent, qui secouent, qui remettent tout en question presqu’à chaque fois.  Des crises qui se poursuivent malgré l’âge qui avance.  L’impuissance.  La recherche de solutions.  La souffrance cachée derrière ces éclats de colère, la douleur même.  L’incompréhension de l’entourage.

Un entourage qui se veut bienveillant, mais qui ne l’est pas toujours.  Les jugements, inévitables.  Je les reconnais si facilement ces regards qui sous-entendent Laisse-moi le deux semaines pis j’vas te le placer moi ! Et puis, je les entends les soupirs, je les vois les yeux levés au ciel, je les sens les postures qui se crispent d’intolérance. Dans sa grande sensibilité, mon petit tourbillon les ressent lui aussi. Et mon cœur de mère qui éclate en mille morceaux.

Toujours en mouvement.  Son corps en mouvement, ses pensées en mouvement, comme autant de balles rebondissantes.  Les bruits constants, les repas pris sur un coin de table à demi-assis, les gestes sans demi-mesure.

L’adaptation au monde extérieur est et sera toujours un défi pour lui.  Un monde dont il ne comprend pas toujours les codes.  Son imagination comme refuge.  Sa grande créativité.  Son énergie sans fin. Sa vivacité.  Tant de qualités souvent masquées par des émotions en montagnes russes.      

    L’amour, toujours là.  Parfois fragilisé par l’épuisement, parfois amplifié par l’isolement.

Des certitudes qui volent en éclats, des apprentissages perpétuels, un avenir nébuleux. 

Mon enfant tourbillon qui m’aide à ne rien prendre pour acquis et à toujours aller de l’avant.