Le cancer m’a d’abord appris
à ne jamais rien prendre pour acquis. Il
m’a appris que rien n’est immuable, que rien n’est figé dans le temps, que tout
est amené à changer, tout le temps. Que
le bonheur côtoie le malheur. Tout le temps.
Constamment. Que rien n’est
éternel et que tout a une finalité. Que
la vie et la mort sont intimement liées, que l’une ne va pas sans l’autre. Jamais.
Il m’a appris que même ce qu’on imagine comme étant la chose la plus
terrible au monde, on arrive à la prendre à bras le corps, on arrive à y faire
face, presque malgré nous. Le cancer m’a
appris qu’il y a des choses qu’on ne contrôle pas et sur lesquelles il est
inutile de s’acharner. Le cancer m’a
appris à considérer la fin potentielle de toute chose, ma propre fin et celle
des autres. Il a mis la mort au cœur de
ma vie. J’en parle souvent, tout naturellement : « Quand je vais être
morte… », « Quand tu seras mort… », « Si je meurs en
premier… », « Quand tes parents vont mourir… ».
Le cancer m’a appris que des métastases ce n’est jamais bon
signe. Il m’a appris les ravages de la
chimiothérapie. Il m’a appris ce que c’était
des nausées, des vraies. Il m’a appris
qu’une mère, ça pouvait être fragile. Et
pleurer dans son lit le matin. Et
recommencer à croire en Dieu, malgré tout le chemin parcouru pour s’en séparer. Il m’a appris qu’un père, ça pouvait perdre contact
avec la réalité quand la souffrance est trop grande. Il m’a appris qu’un père pouvait
pleurer. Et être sans mot.
Le cancer m’a aussi appris qu’un père, ça peut s’occuper seul
de ses enfants. Qu’un père, ça peut
aller acheter des serviettes sanitaires à ses filles. Qu’un père, ça peut soutenir sa fille aux
prises avec une grossesse non-désirée et
qu’un grand-père, ça peut s’occuper d’un bébé naissant. Le cancer m’a appris qu’on peut vivre sans sa
mère. Le cœur triste par moment, mais
qu’on y arrive.
Le cancer m’a appris que la foudre peut frapper deux fois
au même endroit, qu’un cancer n’en empêche pas un autre. Le cancer m’a appris que la maladie ne compte
pas, qu’elle n’est ni juste ni équitable, qu’elle fait ce qu’elle veut, qu’elle
ne fait pas la différence entre bons et méchants, jeunes ou vieux, riches ou
pauvres.
Le cancer m’a appris que mêmes anéantis, on peut organiser
des funérailles. Le cancer m’a appris
que même quatre jours après le décès d’un être cher, on peut choisir de façon
rationnelle la sorte de sandwichs qui seront servies au goûter après la
cérémonie. Le cancer m’a appris qu’il
faut payer pour faire creuser un trou au cimetière.
Le cancer m’a appris c’est quoi un picc line ou une voie centrale.
Il m’a appris l’attente interminable dans une chambre d’hôpital. Il m’a appris l’espoir de voir arriver un
médecin avec une bonne nouvelle. Il m’a
appris qu’il n’y a pas juste des jaquettes d’hôpital bleues, qu’il y en a aussi
des vertes. Il m’a appris à quoi ça
ressemble un gémissement de mourant et que ça s’appelle vraiment comme ça, un
gémissement. Il m’a appris que la
maladie rapproche ceux qui restent (« on se voit plus que pendant le temps
des fêtes »).
Le cancer m’a appris qu’on paye 50% d’impôt sur un gain en
capital. Il m’a appris comment liquider
une succession. Il m’a appris c’est quoi un droit acquis, l’aliénation d’un lot,
une servitude et c’est quoi être inscrit aux taxes. Il m’a appris que la TPS et
la TVH, c’est la même affaire. Il m’a
appris que l’Union des producteurs agricoles et la Commission de la protection
des terres agricoles existaient et pouvaient m’être utiles. Il m’a appris qu’on met du diesel dans un tracteur, de l’essence
dans une motoneige et mélange huile-essence dans une scie à chaîne. Il m’a
appris à peser sur la flotte quand la
température monte trop lorsqu’on sort le sirop d’érable. Il m’a appris la différence entre un CELI et
un REER. Il m’a appris tout le travail
invisible que quelqu’un peut faire.
Le
cancer m’a appris tout l’amour qu’on peut porter à quelqu’un et tout le vide
qu’on peut ressentir à sa perte. Il m’a
appris que la vie nous rattrape toujours.
Il m’a appris que les aurevoirs arrivent toujours trop vite. Il m’a appris qu’un peut devenir orpheline à
n’importe quel âge. Et apprendre à vivre
avec.
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