Pas
dans le sens de l’amour au début de l’âge adulte, là. Mais bien dans le sens de l’amour après 18
ans de vie commune. Dans le sens de 18
années passées à partager la vie de la même personne.
Qu’est-ce
qu’il y a de si différent entre aujourd’hui et le premier jour ? Difficile à dire puisque je ne me rappelle
plus trop des premiers jours. En fait,
non, je m’en rappelle, mais ça fait si longtemps que tout me semble un peu
flou, vague, comme si ce souvenir appartenait à une autre vie que la
mienne. Deux êtres qui se connaissaient
à peine, qui n’avaient jamais entendu parler l’un de l’autre, qui sont
dorénavant intimement liés, qui ont une connaissance profonde l’un de
l’autre. Comment un étranger a-t-il pu
devenir la personne qui me connaît le mieux, le seul avec qui je ne peux me
défiler ni faire semblant ?
Comment
nous comparer, nous, jeune couple, qui louions de vieilles cassettes vidéo à
0,99$ et achetions une enveloppe de fondue au fromage pour nos soirées en
tête-à-tête, à nous, vieux couple, qui avons deux enfants, qui jasons
hypothèque, pneus d’hiver et devoirs de mathématiques ? Comment comparer ta relation avec un homme
que tu as séduit à grands coups de sourires, de quelques mots d’esprits et d’une
petite robe noire à ta relation avec l’homme qui t’as vu accoucher, crier après
tes enfants et fondre en larmes au décès de ton père ?
Après
18 ans, la relation est plus profonde, plus complète, mais moins magique et
plus lourde, car elle traîne avec elle tous les soucis quotidiens. Parfois, mon amoureux, il me tombe sur les
nerfs. Quand il me parle sans arrêt de sujets qui ne m’intéressent pas (dans ma
tête je me dis : je ne pense pas qu’il m’aurait raconté ça les premiers
temps de nos amours, ou encore : il doit pourtant le savoir que ses problèmes
de caliper ne m’intéressent
pas). Et je sais que moi aussi je dois
lui tomber sur les nerfs parfois. Quand
je laisse les portes d’armoires grandes ouvertes, quand j’oublie ce qu’il vient
de me dire il y a cinq minutes, quand je fais passer Facebook avant lui. Mais malgré
tout ça, j’ai toujours hâte de le retrouver à mon retour du travail, il me fait
toujours autant rire qu’avant, sinon plus, et je m’endors toujours mieux une
fois qu’il s’est allongé à mes côtés (même s’il est trop grand et prend le ¾ du
lit !).
Je me
demande parfois comment il me voit aujourd’hui.
Suis-je encore la jolie fille amusante qu’il a rencontrée ? Suis-je telle un meuble dans sa vie, présence
immuable et rassurante ? Il y a 18 ans,
il m’a choisi, me choisirait-il encore aujourd’hui ? Rêve-t-il à d’autres parfois ? Pense-t-il qu’il aurait pu partager sa vie
avec quelqu’un d’autre ? Et moi, comment
je le vois ? Parfois, je le regarde
dormir à mes côtés, je regarde son visage et je me dis que ça fait 18 ans que
je contemple ce visage, à tous les jours, et je me sens privilégiée. Nous en avons traversé des épreuves et des
moments doux, nous en avons eu des fous rire et des grands désaccords, nous en
avons eu des prises de becs et des réconciliations. Nous avons une histoire. Un jour il faudra fermer le livre. Un jour, rapproché ou lointain,
inévitablement, cette histoire se terminera, mal, fort probablement. Une séparation ou un décès. La fin sera triste, il ne peut pas en être
autrement. En attendant, profitons de
cette complicité, de cette connaissance profonde de l’autre, de ces moments où
les mots sont superflus.
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