jeudi 5 octobre 2017

80 Bougies




Au dernier solstice d’été, mon beau-père a fêté ses 80 ans.  80.  Pensez-y, peu d’entre nous aurons la chance de se rendre jusque-là.

          Pour célébrer son entrée dans le groupe des octogénaires, il souhaitait aller bruncher dans un endroit chic, ce que nous fîmes.  Il était content d’avoir toute sa famille autour de lui, une petite famille, mais quand même.  Son fils aîné, mon beau-frère, prendra sa retraite dans quelques années.  Mon fils aîné à moi, il a 9 ans.  Je trouve cela surréaliste de penser que je puisse être encore en vie le jour où  mon fils prendra sa retraite, même ma propre retraite me semble bien loin.

          Avant notre départ pour le brunch, au petit matin, j’ai pris mon café avec mes beaux-parents sur leur terrasse surplombant le fleuve Saint-Laurent.  Ils ont parlé de leur ancienne maison, une belle victorienne à Verchères, où ils sont restés pendant 42 années.  Ils ont déménagés il y a trois ans, dans une maison plus petite avec un plus petit terrain, mais tout-de-même, ils reconnaissent qu’ils ont peut-être vu trop grand.  Il y a encore beaucoup d’entretien à faire. 

Mon beau-père se mit ensuite à raconter comment l’arrivée du FAX avait révolutionné leur vie de bureau à l’époque.  Puis, il parla des réseaux sociaux, dit qu’il était en réflexion en ce qui concerne Facebook ! J’ai regardé leur BBQ tout vieux, tout rouillé, ne tenant plus à grand-chose, je me suis dit qu’ils n’en achèteront sûrement pas un nouveau, qu’ils vont probablement finir leur vie avec celui-là, que c’est leurs enfants qui vont le mettre au chemin à leur mort.  Je parle de la mort, car on la sent nécessairement un peu, rôdant autour, avec la santé fragile de mon beau-père qui a entraîné des nombreux séjours à l’hôpital  depuis leur déménagement et du ménage qu’ils font tranquillement dans leurs effets personnels.  J’ai pensé à tout ça en regardant le fleuve avec eux ce matin-là.  J’ai pensé aussi à tous les deuils qu’ils ont dû faire pour se rendre jusque-là et à tous ceux qui sont encore à venir. Deuil des enfants qui ne sont plus petits, deuil de la vie active, deuil des amis et parents qui les ont quittés, deuil de la vitesse en voiture, des longs voyages, des levés à l’aube, de la capacité à contrôler son environnement.  Parfois, je me demande si j’aurai la force de faire tous ces deuils, d’accepter la vieillesse, telle qu’elle se présentera à moi, de lui ouvrir les bras, de l’accueillir, d’accepter les pertes.  Mon beau-père dit souvent : « Il y a deux options : vieillir ou mourir.  Je préfère vieillir. »  Mais, ce matin-là, j’avais le sentiment qu’il considérait maintenant ces deux options comme intimement liées.  Il lui reste moins de 10 ans, selon lui.  Comme il a toujours été quelqu’un de rationnel, de pragmatique (un actuaire !), s’il croit cela, ce n’est pas du sentiment, de la peur, c’est une conclusion logique.  Ce qui rend la chose encore plus dramatique.  

          Le brunch a été une grosse sortie pour lui.  Il a conduit 30 minutes à l’aller et 30 minutes au retour, il a marché un peu dans la chaleur, monté des escaliers, il est resté assis longtemps pour avaler toute cette nourriture.  Au retour à la maison, il était épuisé et il avait mal partout.  Il a dû prendre une pause avant de monter les escaliers extérieurs.  Il a ensuite gravit les marches en se tenant à deux mains sur la main courante, comme un bébé de 18 mois.  Une fois à l’intérieur, il marchait en titubant, il devait s’asseoir au plus vite.  Ma belle-mère semblait inquiète.

          Il nous confiera, pendant cette fin de semaine, que sa pression sanguine avait augmenté un peu, ce qui le tracassait.  Il avait donc rendez-vous, cette semaine, avec son cardiologue.  Il avait son sourire habituel, mais il était plus tremblant, plus fébrile.

          Pendant le brunch, il s’est étouffé en prenant une gorgée de bière.  S’étouffer avec les liquides, ce n’est jamais bon ça.  Tout le monde l’a regardé, tout le monde a fait comme si c’était normal, mais en même temps, tout le monde savait, qu’il y a trois ans, il ne s’étouffait pas comme ça.

          80 bougies.  80 années.  Je ne peux m’empêcher de me demander à quoi auraient ressemblé mes parents à cet âge.  Je ne les ai pas vus vieillir. Je n’ai pas pu partager avec eux ce ralentissement tranquille, apaisant et inquiétant à la fois, d’un être qui entame son dernier tour de piste.

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