Mardi le 10 mai 2016,
mon père, âgé de 68 ans, a été transféré d’un hôpital régional, où il était
depuis un mois, à un grand hôpital de la région de Montréal, pour traiter son
cancer neuroendocrinien qui venait d’être diagnostiqué. L’état de mon père était déjà assez
préoccupant à ce moment-là, mais selon les médecins, il était permis d’espérer
puisque, là-bas, dans ce grand hôpital, une équipe spécialisée l’attendait, des
tests plus poussés pourraient être faits et un traitement pourrait certainement
être débuté.
Il est arrivé à cet hôpital en ambulance à 13h30, suivi de
près par ma sœur et moi. Dès les
premiers instants, un nœud se forma dans ma gorge. J’avais beau me répéter,
comme plusieurs me l’avaient dit, que certains oncologues de cet hôpital
étaient de renommée internationale, la chambre microscopique, les vieilles
fenêtres et la chaise pliante en métal rouillé pour les visiteurs me laissaient
sceptique. Aussi, lui qui devait être
accueillît par une équipe hors pair, ne vit personne pendant ses cinq premières
heures à l’hôpital hormis les infirmières qui installèrent son soluté et qui
prirent ses signes vitaux en disant ne pas être encore au courant du dossier. Il finit par être évalué par une résidente en
début de soirée, dans le but, essentiellement, de calmer les crises de larmes
hystériques de ma belle-mère qui était découragée que personne ne s’occupe de son
mari. Pendant tout l’après-midi, mon
père resta cloué au lit, les yeux grands ouverts, visiblement ébranlé, je
dirais même terrifié, par cette situation où nous nous sentions tous
abandonnés. Il semblait également fort inconfortable dans son vieux lit
d’hôpital et, lorsque ma belle-mère demanda un deuxième oreiller pour
l’installer plus adéquatement (nous n’avions pas vu l’ombre d’un préposé depuis
le transfert de la civière au lit), l’infirmière lui répondit :
-
Malheureusement, c’est un seul oreiller par
patient. Vous savez Madame, ça coûte cher
les oreillers.
Je suis sortie de la chambre
et je me suis mise à sangloter. Cet
endroit était sinistre. J’étais paniquée à l’idée de laisser mon père passer la
nuit seul dans ce lieu qui ne m’inspirait aucune confiance. Pourtant, les soignants me semblaient très
humains et compétents, mais ils étaient visiblement débordés et ils faisaient
de leur mieux avec ce qu’ils avaient, c’est-à-dire pas grand-chose. Pas
d’oreiller supplémentaire en-tout-cas.
Le
surlendemain, je retournai à l’hôpital avec ma sœur, retrouver mon père et ma
belle-mère, car l’oncologue devait passer dans la matinée et nous fûmes bien
avisées que si nous n’étions pas présentes lors de sa visite, et bien c’était tant
pis pour nous, nous ne la reverrions plus de la journée. Mon père dormait dans sa chambre et nous
étions, ma belle-mère, ma sœur et moi, assisses sur des chaises dans le
corridor à regarder le va-et-vient du personnel et des visiteurs sur l’étage
lorsque nous vîmes l’oncologue marcher dans notre direction d’un pas déterminé. Elle nous annonça, elle debout, nous
assisses, qu’il n’y avait pas de traitement possible pour mon père et qu’il
devait être orienté vers des soins palliatifs. Pas de rencontre dans une salle privée pour
nous apprendre cette terrible nouvelle.
Bing, bang, dans le corridor, vite fait, bien fait. Elle semblait d’ailleurs pressée de porter
son attention sur un autre patient, un qui avait une chance d’être sauvé. Comment la blâmer ? J’ai su plus tard qu’elle
devait s’occuper du dossier des 40 patients de l’étage en un avant-midi
seulement. Avant de s’en aller, elle
ajouta toutefois que, si le dossier complet de mon père était arrivé avant lui
à l’hôpital, l’équipe médicale aurait pu conclure, à sa seule consultation,
qu’il n’y avait pas de traitement possible et le transfert n’aurait pas été
nécessaire. Le département serait peut-être équipé un jour d’un système de
visio-conférence pour éviter des transferts inutiles de patients, mais, pour
l’instant, cela n’était pas dans les priorités du gouvernement. Quoi ?!
Un service d’oncologie mondialement reconnu sans visio-conférence ?! Je vous
jure que, pendant un moment, j’ai cru à une blague, cela ne pouvait pas être
vrai…
Mais nous n’étions pas au bout de nos peines. Comme il ne restait plus assez de temps à mon
père pour organiser des soins palliatifs à domicile, nous avons opté pour une
maison de soins palliatifs dans notre région, à 1h30 de Montréal. L’infirmière nous mentionna qu’il était trop
tard pour un transfert ce jour, mais qu’une ambulance était demandée pour 8h00
le lendemain matin, elle nous avisa toutefois qu’il pouvait y avoir un léger
délai. Ma belle-mère est restée avec mon
père dans le but de l’accompagner pendant le trajet et ma sœur et moi sommes
rentrées chez nous pour pouvoir être présentes à son arrivée à la maison de
soins palliatifs. Ma belle-mère devait
nous appeler au départ de l’hôpital.
Vendredi le 13 mai, 9h00. Pas de nouvelles. 10h00. Un oncle
texte à ma sœur que l’état de notre père est stable, mais toujours pas
d’ambulance en vue. 11h00. Pas de nouvelles. 12h00. Je texte ma belle-mère,
malgré ses visites répétées au poste des infirmières, toujours rien sur l’heure
d’arrivée de l’ambulance. 13h00. Je
panique et pense à aller chercher mon père moi-même avec mon demi-frère. 14h00.
Pas de nouvelles. 15h00. On nous explique finalement que mon père n’est pas
prioritaire, que les ambulances sont d’abord attribuées aux vies que l’on peut sauver
et ensuite aux vies auxquelles on ne peut plus rien. Il bénéficierait toutefois
d’une cote humanitaire. 17h00.
Une amie de ma belle-mère, médecin de profession, trouve que cette
attente n’est pas normale et demande pourquoi l’hôpital n’a pas de plan B dans
de telles situations. De plus, elle demande depuis quand il n’a pas vu de
médecin, car son état l’inquiète. 18h00.
Appel téléphonique de ma belle-mère, il n’y aura pas de transport ce
soir, mon père est maintenant rendu aux soins palliatifs de l’hôpital. Nous étions déjà en route.
Il
décédera le dimanche 15 mai à 2h00 du matin aux soins palliatifs de cet hôpital
entouré de tous ses proches. Il n’a
jamais pu retourner chez-lui. Il a passé ce vendredi 13, dernière journée où il
pouvait encore parler, dans sa chambre microscopique, à tenir la main de sa
femme, les yeux rivés sur l’horloge, dans une attente angoissée de voir arriver
les ambulanciers, angoisse qui nécessita la prise d’anxiolytiques.
Pendant le court séjour de mon père dans cet hôpital
montréalais, malgré le bon vouloir de l’équipe soignante, je fus confronté à un
système de santé à l’image de mon père agonissant, un système à bout de souffle
et de ressources. Les patients sont trop
nombreux et le personnel insuffisant, les infrastructures et la technologie
sont désuètes. Avec toutes les coupures
actuelles dans le système de santé, je m’inquiète réellement du sort réservé à
nos malades et à leur dignité humaine.
Si le droit universel à des soins santé respectables est une valeur en
laquelle on croit, il faudra y mettre le prix.
Si la facture nous apparaît trop élevée, il ne faudra alors pas se
surprendre des lacunes de plus en plus grande que présentera notre système de
santé public et la porte sera donc toute grande ouverte pour le secteur privé.
Tant pis pour les moins bien nantis…
Enfin, j’oubliais, il nous fallut payer plus de 500$ en
frais supplémentaires pour ramener le corps de mon père reposer en paix dans sa
dernière demeure.
Je suis très touchée par ce que vous avez vécu, Le contexte du système de santé est déplorable. On a temps besoin d'être entouré pour le malade et la famille aussi ,c'est tellement difficile d'affronter une fin de vie.
RépondreEffacerNous sommes tellement reconnaissant de l'humanité remarquable du personnel du Monarque lors du dernier passage de fin de vie de Gaétan
Je pense souvent à toi et Mariline ainsi que tous les autres membres de la famille
Oui. C'est tellement important d'avoir des soins palliatifs de qualité.
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