vendredi 16 juin 2017

Pour une fin moins angoissante



          Mardi le 10 mai 2016, mon père, âgé de 68 ans, a été transféré d’un hôpital régional, où il était depuis un mois, à un grand hôpital de la région de Montréal, pour traiter son cancer neuroendocrinien qui venait d’être diagnostiqué.  L’état de mon père était déjà assez préoccupant à ce moment-là, mais selon les médecins, il était permis d’espérer puisque, là-bas, dans ce grand hôpital, une équipe spécialisée l’attendait, des tests plus poussés pourraient être faits et un traitement pourrait certainement être débuté.

          Il est arrivé à cet hôpital en ambulance à 13h30, suivi de près par ma sœur et moi.  Dès les premiers instants, un nœud se forma dans ma gorge. J’avais beau me répéter, comme plusieurs me l’avaient dit, que certains oncologues de cet hôpital étaient de renommée internationale, la chambre microscopique, les vieilles fenêtres et la chaise pliante en métal rouillé pour les visiteurs me laissaient sceptique.  Aussi, lui qui devait être accueillît par une équipe hors pair, ne vit personne pendant ses cinq premières heures à l’hôpital hormis les infirmières qui installèrent son soluté et qui prirent ses signes vitaux en disant ne pas être encore au courant du dossier.  Il finit par être évalué par une résidente en début de soirée, dans le but, essentiellement, de calmer les crises de larmes hystériques de ma belle-mère qui était découragée que personne ne s’occupe de son mari.  Pendant tout l’après-midi, mon père resta cloué au lit, les yeux grands ouverts, visiblement ébranlé, je dirais même terrifié, par cette situation où nous nous sentions tous abandonnés. Il semblait également fort inconfortable dans son vieux lit d’hôpital et, lorsque ma belle-mère demanda un deuxième oreiller pour l’installer plus adéquatement (nous n’avions pas vu l’ombre d’un préposé depuis le transfert de la civière au lit), l’infirmière lui répondit :

-        Malheureusement, c’est un seul oreiller par patient.  Vous savez Madame, ça coûte cher les oreillers.

Je suis sortie de la chambre et je me suis mise à sangloter.  Cet endroit était sinistre. J’étais paniquée à l’idée de laisser mon père passer la nuit seul dans ce lieu qui ne m’inspirait aucune confiance.  Pourtant, les soignants me semblaient très humains et compétents, mais ils étaient visiblement débordés et ils faisaient de leur mieux avec ce qu’ils avaient, c’est-à-dire pas grand-chose. Pas d’oreiller supplémentaire en-tout-cas. 

          Le surlendemain, je retournai à l’hôpital avec ma sœur, retrouver mon père et ma belle-mère, car l’oncologue devait passer dans la matinée et nous fûmes bien avisées que si nous n’étions pas présentes lors de sa visite, et bien c’était tant pis pour nous, nous ne la reverrions plus de la journée.  Mon père dormait dans sa chambre et nous étions, ma belle-mère, ma sœur et moi, assisses sur des chaises dans le corridor à regarder le va-et-vient du personnel et des visiteurs sur l’étage lorsque nous vîmes l’oncologue marcher dans notre direction d’un pas déterminé.  Elle nous annonça, elle debout, nous assisses, qu’il n’y avait pas de traitement possible pour mon père et qu’il devait être orienté vers des soins palliatifs.  Pas de rencontre dans une salle privée pour nous apprendre cette terrible nouvelle.  Bing, bang, dans le corridor, vite fait, bien fait.  Elle semblait d’ailleurs pressée de porter son attention sur un autre patient, un qui avait une chance d’être sauvé.  Comment la blâmer ? J’ai su plus tard qu’elle devait s’occuper du dossier des 40 patients de l’étage en un avant-midi seulement.  Avant de s’en aller, elle ajouta toutefois que, si le dossier complet de mon père était arrivé avant lui à l’hôpital, l’équipe médicale aurait pu conclure, à sa seule consultation, qu’il n’y avait pas de traitement possible et le transfert n’aurait pas été nécessaire. Le département serait peut-être équipé un jour d’un système de visio-conférence pour éviter des transferts inutiles de patients, mais, pour l’instant, cela n’était pas dans les priorités du gouvernement.  Quoi ?! Un service d’oncologie mondialement reconnu sans visio-conférence ?! Je vous jure que, pendant un moment, j’ai cru à une blague, cela ne pouvait pas être vrai…

          Mais nous n’étions pas au bout de nos peines.  Comme il ne restait plus assez de temps à mon père pour organiser des soins palliatifs à domicile, nous avons opté pour une maison de soins palliatifs dans notre région, à 1h30 de Montréal.  L’infirmière nous mentionna qu’il était trop tard pour un transfert ce jour, mais qu’une ambulance était demandée pour 8h00 le lendemain matin, elle nous avisa toutefois qu’il pouvait y avoir un léger délai.  Ma belle-mère est restée avec mon père dans le but de l’accompagner pendant le trajet et ma sœur et moi sommes rentrées chez nous pour pouvoir être présentes à son arrivée à la maison de soins palliatifs.  Ma belle-mère devait nous appeler au départ de l’hôpital.

          Vendredi le 13 mai, 9h00. Pas de nouvelles. 10h00. Un oncle texte à ma sœur que l’état de notre père est stable, mais toujours pas d’ambulance en vue. 11h00. Pas de nouvelles. 12h00. Je texte ma belle-mère, malgré ses visites répétées au poste des infirmières, toujours rien sur l’heure d’arrivée de l’ambulance.  13h00. Je panique et pense à aller chercher mon père moi-même avec mon demi-frère. 14h00. Pas de nouvelles. 15h00. On nous explique finalement que mon père n’est pas prioritaire, que les ambulances sont d’abord attribuées aux vies que l’on peut sauver et ensuite aux vies auxquelles on ne peut plus rien. Il bénéficierait toutefois d’une cote humanitaire.  17h00.  Une amie de ma belle-mère, médecin de profession, trouve que cette attente n’est pas normale et demande pourquoi l’hôpital n’a pas de plan B dans de telles situations. De plus, elle demande depuis quand il n’a pas vu de médecin, car son état l’inquiète.  18h00.  Appel téléphonique de ma belle-mère, il n’y aura pas de transport ce soir, mon père est maintenant rendu aux soins palliatifs de l’hôpital.  Nous étions déjà en route.

          Il décédera le dimanche 15 mai à 2h00 du matin aux soins palliatifs de cet hôpital entouré de tous ses proches.  Il n’a jamais pu retourner chez-lui. Il a passé ce vendredi 13, dernière journée où il pouvait encore parler, dans sa chambre microscopique, à tenir la main de sa femme, les yeux rivés sur l’horloge, dans une attente angoissée de voir arriver les ambulanciers, angoisse qui nécessita la prise d’anxiolytiques.

          Pendant le court séjour de mon père dans cet hôpital montréalais, malgré le bon vouloir de l’équipe soignante, je fus confronté à un système de santé à l’image de mon père agonissant, un système à bout de souffle et de ressources.  Les patients sont trop nombreux et le personnel insuffisant, les infrastructures et la technologie sont désuètes.  Avec toutes les coupures actuelles dans le système de santé, je m’inquiète réellement du sort réservé à nos malades et à leur dignité humaine.  Si le droit universel à des soins santé respectables est une valeur en laquelle on croit, il faudra y mettre le prix.  Si la facture nous apparaît trop élevée, il ne faudra alors pas se surprendre des lacunes de plus en plus grande que présentera notre système de santé public et la porte sera donc toute grande ouverte pour le secteur privé. Tant pis pour les moins bien nantis…

          Enfin, j’oubliais, il nous fallut payer plus de 500$ en frais supplémentaires pour ramener le corps de mon père reposer en paix dans sa dernière demeure.   


2 commentaires:

  1. Je suis très touchée par ce que vous avez vécu, Le contexte du système de santé est déplorable. On a temps besoin d'être entouré pour le malade et la famille aussi ,c'est tellement difficile d'affronter une fin de vie.
    Nous sommes tellement reconnaissant de l'humanité remarquable du personnel du Monarque lors du dernier passage de fin de vie de Gaétan
    Je pense souvent à toi et Mariline ainsi que tous les autres membres de la famille

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  2. Oui. C'est tellement important d'avoir des soins palliatifs de qualité.

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