jeudi 21 mars 2019

Le malheur des autres



Le malheur des autres fascine.  Inconsciemment, comme une pulsion innée qui nous pousse à tendre l’oreille lors d’une conversation tumultueuse à la table d’à côté, qui aiguise notre regard lorsque l’on voit des titres de journaux annonciateurs de catastrophes, qui nous fait ralentir devant une scène d’accident.
            Je ne veux pas dire que je me complains dans le malheur des autres ou que j’y suis insensible, bien au contraire, mais le malheur m’interpelle.  En file à la caisse au supermarché, mon regard se promène sur les titres des magazines : « Untel se confie sur sa dépendance à l’alcool et aux drogues », mon regard s’accroche, je veux en savoir plus, comment a-t-il pu en arriver là, lui qui a vécu de si grands succès ? « Unetelle nous parle des joies de sa nouvelle vie de maman ». Ark.  Qu’est-ce qu’elle a à nous faire chier celle-là ?  Elle pense qu’elle vient d’inventer la maternité ? Qu’elle nous fiche la paix avec l’étalement de son bonheur.
            Et oui, je l’avoue, je suis la première à sourire en coin lorsque j’apprends qu’une personne que je croyais parfaite a soudainement une ombre qui se dessine au tableau.  Elle est belle, elle est bonne, elle a une carrière remarquable.  Mais, elle n’a pas pu avoir d’enfants. Pfff.  Elle ne connaîtra pas les joies de la maternité.  Un couple riche et idyllique, mais leur fils unique a des troubles d’apprentissage. Humm.  On ne peut pas tout avoir.  Il a tous les talents, mais sa femme vient de le sacrer là. Ah ! Ah ! Il n’est peut-être pas si parfait qu’il en a l’air.
            La découverte de failles chez les autres m’apaise.  Est-ce que c’est malsain? Peut-être.  Est-ce un manque de confiance en moi? Peut-être.  Ce que je sais, par contre, c’est que les failles des autres me les rendent plus humains, plus sympathiques, me rassure sur mes imperfections, empêche l’idéalisation, me donnent envie de les connaître davantage.
            Peut-être aussi que le malheur des autres nous rappelle notre propre bonheur, le met en lumière, le fait sortir de l’ombre, nous le fait apprécier.  Alors que leur bonheur ne peut que nous confronter à nos malheurs, petits et grands.
            On se compare toujours aux autres, c’est pratiquement inévitable, comme si cela était déjà programmé dans notre ADN.  Même si l’on tente de se concentrer le plus possible sur son soi-même, sur ses propres défis, sur ses propres progrès, la vie nous place toujours vis-à-vis des autres (tests d’admission, classements, étoiles du match, nombre de minutes de jeu, résultats scolaires, entrevue d’embauche, performance statistique, cotes d’écoute, récompenses, prix, trophées, mentions d’honneur, grosseur du chalet, nombre de voyages, réussite sociale, apparence physique et bien entendu les réseaux sociaux et leur nombre de likes), c’est quasi impossible de faire comme si tout cela n’existait pas, de ne pas en tenir compte.
            Le jour où je réussirai à ne plus me comparer à personne et où je pourrai être simplement et purement heureuse pour les autres, je pense que je pourrai dire que j’aurai atteint la sagesse.

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