Mon beau-père. Il
est né en 1937. Un homme de son
époque. Un actuaire, ancien
vice-président d’une compagnie d’assurance-vie.
Un tantinet perfectionniste et contrôlant. Un peu TOC
aussi (mon amoureux ne tient pas du voisin, voir TOC, mon amour ). Homme de
détails et de précision. Un homme qui croit qu’un bon dirigeant c’est un
dictateur éclairé.
C’est un homme qui compte les cintres dans la penderie
avant que la visite arrive pour voir s’il va en manquer. On a beau lui dire
qu’on peut mettre les manteaux excédentaires sur un lit dans une chambre, rien
y fait, il compte les cintres. C’est un
homme qui monte son abris-soleil avec un
ruban à mesurer et un niveau. Un homme
qui ne se sent pas bien s’il n’a pas d’assiettes à pain sur la table, même si
on ne mange pas de pain. Un homme qui
lit en entier les guides d’instructions, deux fois plutôt qu’une, même pour un
grille-pain.
La fin de semaine dernière, lors de notre visite chez eux,
je me suis proposée pour aller à l’épicerie acheter ce qu’il fallait pour notre
brunch du lendemain. Cela l’a rendu nerveux.
Il m’a d’abord demandé s’il me fallait des sacs, je lui répondis que
j’en avais déjà deux, il m’en sortit alors six autres, cela me sembla excessif,
mais j’ai vu dans son regard qu’il considérait que manquer de sacs à l’épicerie
était quelque chose qui n’avait pas de bon sens alors je me suis tu. Après, il s’est rendu compte qu’il n’avait
plus de fromage suisse. Il mentionna
alors qu’il allait retourner à l’épicerie plus tard pour en acheter. Mon chum, interloqué, lui répondit que je
pouvais très bien acheter ce fromage parce que c’était justement là que je m’en
allais, à l’épicerie. Il redevint
nerveux. Je me suis donc assise
tranquillement, je l’ai regardé dans les yeux, j’ai pris ma liste d’épicerie et
un crayon et je lui ai dit que je l’écoutais.
Le voilà qui fût rassuré. Mais
là, il se lança. Il se mit à
m’expliquer c’était quoi du fromage suisse, tsé celui avec des trous
dedans. J’écoutais patiemment. Ensuite, avec tout le sérieux du monde, il
m’expliqua où se trouvait le dit fromage dans l’épicerie, en entrant à droite,
à gauche du Oka…Je faisais maintenant
mine de prendre des notes. Il me dit
qu’il voulait aussi de la bière…ah…il irait la chercher au dépanneur plus
tard…non, non, non, je pouvais aussi me charger de la bière à l’épicerie. Il se mit à chercher la sorte…je le devançai,
Alexander Keith, la bière de Luc, mon
beau-frère, son fils aîné. Oui, c’était
ça. Il me demanda si je voulais qu’il
aille me chercher une bouteille vide au sous-sol pour être bien certaine que je
ne me trompe pas de sorte. Non, non, non ! Pas nécessaire. J’avais chaud, il fallait que je sorte (il
faisait toujours quarante-douze degrés Celsius chez mes beaux-parents). Je lui dis que j’avais mon cellulaire, que
s’il pensait à autre chose, il pouvait m’appeler. Il me regarda dans les yeux : « Là,
lorsque le commis va être en train de mettre les sacs dans ton auto, tu m’appelles… »
Pourquoi ?????????? « … moi ça
va me donner le temps de m’habiller et je vais t’attendre dans l’entrée pour
t’aider à rentrer les sacs. »
-
Non,
Marcel. Vous savez, j’ai déjà fait ça,
l’épicerie. Je dirais même que je fais
ça à toutes les semaines. J’ai pas mal
d’expérience dans le domaine. Je pense
que je vais m’en sortir.
Il rit.
Incroyable, que je me dis en
m’en allant à l’auto. Pourquoi faire
simple quand on peut faire compliqué.
Et je ne vous parle pas de ce fabuleux moment, il y a
plusieurs années de cela, alors que mon chum avait prêté sa voiture à mon
beau-père pour la fin de semaine. Mon
beau-père lui dit qu’il voulait avoir un « cours » avant d’utiliser
la voiture (tsé pour savoir à quoi sert chaque piton). Alors, mon chum et mon beau-père sortirent
dehors et s’assirent dans la voiture. Il
pleuvait. On devait être genre en
novembre. La voiture était garée près de
la maison. Par la fenêtre, ma belle-mère
et moi observions la scène. Mon
beau-père avec son chapeau assis côté conducteur et mon chum, côté passager,
qui donnait ses instructions. Tout d’un
coup, les essuie-glaces partaient et s’arrêtaient, les lumière s’ouvraient et
se refermaient. J’ai ri à en avoir mal
au ventre. Ça me faisait penser à une scène de La Petite Vie, où Popa donnait le même genre de cours à Moman, lui
apprenant, entre autres, à verrouiller et déverrouiller la portière « Ah !
Ah ! T’as fait barre et j’ai dit débarre ! » Moi qui avait pensé que
c’était une caricature.
En fait, mon beau-père c’est une caricature, un personnage
en soi, quelqu’un comme personne d’autre dans mon entourage. Il vient d’un milieu ouvrier et il a réussi à
se glisser au sommet. Grâce à son
intelligence et grâce à sa ténacité aussi. C’est un homme fier, généreux
également, et un éternel optimiste. En
dix-sept ans, il ne m’a jamais dit que je pouvais lui dire Tu. Les amis de mon chum l’appellent
Monsieur. Moi, je ne peux pas, j’en suis incapable. Je suis sa bru après tout. Pour moi, c’est Marcel. Mais, j’ai gardé le Vous. Il ne me le dira
jamais, mais je pense qu’il aurait aussi aimé que je garde le Monsieur.
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