dimanche 6 septembre 2020

Dans la cour des grands

 


Je pensais que l’entrée à la maternelle serait ze événement. L’événement le plus marquant pour mon enfant et moi parmi tous les événements qui jalonneraient son parcours jusqu’à l`âge adulte. La transition des transitions.   Les balbutiements de la vraie autonomie et le début des apprentissages avec un grand A.  Son premier sac d’école, ses premiers crayons de couleurs, identifiés chacun individuellement avec amour, son premier duo-tang rouge à pochettes.  Tel devait être le moment le plus émouvant et bouleversant dans ma vie de mère.  Mais non. Un autre est venu lui rafler la vedette, le pousser dans un coin, remuant encore plus d’émotions sur son passage : l’entrée au secondaire.

            L’arrivée dans le monde des responsabilités et des tâches sérieuses.  L’abandon graduel de l’univers ludique et récréatif.  Le premier constat de mon ado : « Maman ! Il n’y a pas de jeux dans la cour d’école ! Tout ce qu’on peut faire c’est marcher et discuter ! ».  Le prof d’anglais parle juste en anglais, le prof de sciences parle trop vite, la prof d’art peut parler une heure sans s’arrêter.

Mon fils a également fait la rencontre de l’angoissant cadenas à numéro.  Après sa première journée d’école, il est ressorti de son lit à vingt-deux heures en me disant qu’il voulait encore se pratiquer à ouvrir son cadenas.  Ma gorge se noua à ce moment-là ; je fis un bond en arrière de trente ans et me rappelai ma propre angoisse cadenassée au même âge.  En fait, je ne me contentai pas de m’en rappeler, je la revécus, comme si j’y étais, je sentis presque le curseur du cadenas sous mes doigts exécuter des tours et des demi-tours de 24 à 11 à 43.  Mon fils m’avoua aussi sa peur, à chaque soir en quittant l’école, d’oublier quelque chose d’important. Je me remémorai alors mes propres tourments d’étudiante : les cauchemars récurrents d’être passée tout droit le matin d’un examen, la crainte de pénétrer dans la mauvaise salle de classe, l’appréhension face à tous les travaux à remettre en même temps. Toutes ces émotions revinrent me visiter, comme si elles ne m’avaient jamais quittée.

 Le secondaire, c’est aussi la fin du confort des pantalons de jogging portés à l’année.  Dorénavant, tu dois les trimbaler dans un sac à part. Et ne pas oublier ledit sac. Où va-t-on se changer ?  Comment cela va-t-il fonctionner ? Est-ce que je dois amener mon déodorisant ?

Et le temps qui s’accélère.  Les récréations qui n’existent plus vraiment. Les cours qui s’enchaînent.  Le début des préoccupations.  Mon garçon, du haut de ses douze ans, qui doit maintenant affronter la vie et répondre aux attentes.  La perte de cette pureté d’âme et spontanéité de l’enfance.  Le début d’une vie où l’on devient hyper conscient de tout : de soi, des autres, des normes, des possibilités, des contraintes.  Un monde où l’avenir commence à exister.  Un monde où le moment présent s’effrite de plus en plus. Après sa première semaine de cours, mon ado s’exclamera : « J’aimerais ça être encore insouciant comme mon petit frère ! » et de dire aussi « C’est la plus grande épreuve de toute ma vie ».

La fin de l’innocence.

Voilà pourquoi, je crois, cette rentrée au secondaire me bouleverse tant.  

 

 

 

           

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