vendredi 26 septembre 2025

Au secours !

 


    Je m’en vais au travail à bord de mon RAV4 de moins en moins neuf. Il est quelque part entre 7h30 et 8h00 le matin. Je pleure comme une Madelaine. Je pleure sans pourvoir m’arrêter et sans savoir trop pourquoi. Tout ce que je sais, c’est que mes larmes coulent enfin et que ça me soulage. Me soulager de quoi ? Bonne question. De vieux traumas qui remontent à la surface, probablement. Pourquoi maintenant ? Probablement l’œuvre d’œstrogène et de progestérone qui dansent une samba endiablée, main dans la main, se déchaînant sur des rythmes fous. Je pleure pour de vrai, de beaux gros sanglots bien sonores et bien morveux. On dirait que je viens d’apprendre que mon chien est mort ou que mon chum me trompe. Mais il n’est strictement rien arrivé dans ma petite vie plate et bien rangée. Je traverse le village de Saint-André les joues humides et les yeux rouges bouffis ; je braille ma vie. Décidemment, œstrogène et progestérone s’en donnent à cœur joie, elles giguent, voltigent dans les airs, font de grands battements, plus rien ne semble pouvoir les arrêter.

          Je me stationne enfin au CLSC et coupe le moteur de ma voiture. J’essuie mes yeux et respire trois grands coups ; si je marche vite, personne ne devrait remarquer ces dégâts hormonaux. Arrivée dans mon bureau, je me sens à l’abri. Aucune collègue n’est encore présente dans notre petit corridor tranquille. Je me sens soudainement très bien. Je suis souriante. Je profite de ce moment en solitaire pour envoyer deux ou trois courriels importants et mettre de l’ordre dans mes dossiers. Quand mes collègues arrivent, je pète le feu. On dirait que j’ai dormi quinze heures cette nuit et que j’ai gagné à la loterie. Œstrogène et progestérone ont cessé leur valse impétueuse. L’une d’elle a mis l’autre chaos, l’a ligotée et l’a enfermée au sous-sol. L’autre avance doucement sans perdre les pédales. Elle se faite toute petite et discrète. Elles laissent mes autres hormones et mes neurotransmetteurs souffler un peu.

          Je me remets à avoir des projets. Je veux faire un autre rallye. 25 000 $ de levées de fond ? Bébé fafa. Et pourquoi pas un autre quiz ? Un plus difficile cette fois-ci. Pourquoi je n’essaierai pas d’écrire un roman, comme j’en ai toujours rêvé ? Des tonnes d’idées se bousculent dans ma tête. Il est 11h30 et je décide de m’attaquer à l’analyse de mon foutu questionnaire compliqué pis en anglais que je repousse tout le temps, parce que c’est long, c’est plate et que ça me donne généralement mal à la tête. Je suis une machine, un monstre de concentration, je focusse, je travaille super bien comme une grande ergothérapeute digne de ce nom. Midi. J’ai fini. Trente minutes, pas une seconde de plus. Terminé, le questionnaire de l’ennui. Mes hormones sont assises bien sagement dans leur chambre et font de la méditation.

          14h30. Ça recommence. L’anxiété cette fois. D’abord, la fébrilité. L’impression d’être une feuille de mica tremblotante qui peut casser n’importe quand. Le cœur qui s’emballe. Les gestes qui hésitent. Je pense à ce rapport que je n’ai pas encore commencé et j’angoisse. Je regarde ma note évolutive sur l’écran de mon ordinateur et je suis sur le bord de la crise existentielle. À quoi tout cela peut-il bien servir ? Est-ce que j’aide vraiment les gens, au fond ? Pourquoi je voulais être ergothérapeute déjà ? Je pense que je ne serai plus jamais capable de rédiger un rapport d’évaluation. En fait, je ne me sens plus outillée pour faire face à la vie. Aussi bien m’enfermer tout de suite dans une maison de retraite. Œstrogène et progestérone ont repris du service. Elles organisent une grande fête. C’est Bar Ouvert. Elles perdent le contrôle de leurs invités. Plus rien ne va. Tout le monde est dans un état second.

          Je n’ai plus envie de rien. La moindre responsabilité me semble une montagne énorme à escalader pieds et mains nus. Pas question de refaire un rallye, ni même un voyage à Québec. Je dois ménager mes énergies et être réaliste par rapport à mes capacités. Passer le restant de mes jours en pantoufles chez-moi à attendre la mort m’apparaît un projet beaucoup plus raisonnable. Les deux petites copines chimiques mènent la vie dure à mon organisme. Elles stimulent tout ce qui se trouve sur leur chemin. Mes sens sont exacerbés, je réagis au moindre changement, à la moindre contrariété, je me sens irritée en permanence, comme si je n’étais plus qu’une grosse plaque d’eczéma, et que ma seule option était de me gratter jusqu’au sang, jusqu’à l’infection, jusqu’à ce que le pus sorte et se répandre hors de moi.

          D’ailleurs, je n’ai plus tellement le goût d’écrire non plus. Passer la soirée assise devant mon écran d’ordinateur ne me dit rien qui vaille. Ça me donne mal aux fesses à la longue. Et puis, ça m’emmerde de me relire et de gosser pendant dix minutes sur une phrase à la syntaxe boiteuse.

Mais écrire, ça me défoule. Ça m’a sûrement évité quelques pétages de plomb dans les dernières années.  Et c’est quand même le fun quand tu réussis à transformer une phrase boiteuse en phrase punchée.

          Écrire, c’est peut-être ma seule façon, au fond, pour dompter mes hormones secrétées n’importe comment.

 Enfin, en attendant une meilleure prise en charge de la santé des femmes, c’est pas mal tout ce que j’aie.