jeudi 25 octobre 2018

Comment survivre aux autres ?



Les autres, ceux qui nous entourent.  Les autres humains de cette planète que l’on côtoie à tous les jours, de près ou de loin.  Pour une fois ou pour toujours.  Ceux-là même dont on a tant besoin.  Ceux-là même qui nous bousculent, qui nous emportent, de qui on veut fuir ou se rapprocher.
            Déjà enfant, il faut survivre à sa propre famille.  Source de sécurité ou d’angoisse, d’attachement profond ou fragile.  Cohabiter avec tous ces caractères, faire sa place, exprimer ses besoins, ses limites. Il faut survivre à ses propres parents, à qui on essayera toujours, inévitablement, de plaire, de qui on recherchera sans cesse l’approbation, souvent inconsciemment.  Il faut survivre à ses frères et sœurs, objets d’amour et de haine, avec qui la comparaison et la compétition sont bien souvent inévitables.  Il faut survivre à cette envie d’embrasser sa fratrie, de les accepter tel qu’ils sont et à ce goût, parfois, de les voir disparaître, il faut apprendre à vivre avec cette dualité.  Il faut aussi survivre à sa famille élargie.  Survivre à cette tante qui ne sent pas bon et à cet oncle qui rit trop fort et qui te fais peur. Survivre à cette grand-mère, un peu trop sévère, aux airs de sorcière.
             Il y aura aussi tous ces adultes maladroits avec les enfants que tu tenteras d’éviter, ceux qui te poseront des questions trop difficiles pour ton jeune âge, ceux qui tenteront des blagues douteuses, ceux qui te parleront en employant une voix débile, ceux qui quémanderont toujours des câlins et des bisous.  
            Ensuite, il y aura les autres enfants.  La petite fille au bandeau rouge dans ta classe de maternelle avec son sourire sympathique, mais que tu hésites à aborder.  Le petit garçon agité qui te rend nerveuse.  Les premières jalousies.  La petite fille blonde qui semble hypnotiser tout le monde avec ses grands yeux bleus. Apprendre, qu’à certains moments, être différent peut te causer des ennuis.  Apprendre à te fondre dans la masse.  Apprendre qu’il y a d’autres enfants à qui il ne vaut mieux ne pas parler.  Apprendre qu’un morceau de rouleau aux fruits peut acheter une amitié.  Découvrir, pour la première fois, quelqu’un avec qui tu partages de réels intérêts et une façon commune de voir le monde.  Vivre en état de quasi fusion avec cette copine et découvrir que tout peut s’arrêter du jour au lendemain.  Apprendre que l’on peut vouloir s’approcher de toi pour les mauvaises raisons.
            Grandir.  Vouloir ressembler à ceux que tu estimes.  T’éprendre de certaines personnes qui ne te remarqueront jamais.  Être, à ton tour, le centre d’intérêt de d’autres, tout en souhaitant être invisible à leurs yeux.  Découvrir le sentiment amoureux, comment il peut être beau et comment il peut faire mal.
            Lutter pour faire partie d’un groupe.  Tenter d’en respecter les codes. Être grisé par ce sentiment d’appartenance et en être effrayé en même temps. S’oublier pour ne pas être seul, se perdre de vue. Être blessé, ne pas savoir comment l’exprimer.  Vouloir s’affirmer, hésiter, être maladroit.
            Juger les autres sur la base de quelques critères flous et être jugé en retour.   Être soumis à la perception que les autres ont de toi, vivre sous leurs regards inquisiteurs, appréhender leurs réactions, leur donner trop de place.  Te réapproprier ta différence.
            Survivre aux curieux, qui veulent toujours en savoir plus.  Survivre aux envahissants, qui percent constamment ta bulle.  Survivre aux bavards, incapables d’écouter.  Survivre à ceux qui savent tout, toujours, tout le temps.  Survire aux mystérieux qui en disent peu. Survivre à ceux qui deviennent trop intimes trop vite.  Survivre à ceux qui te donnent des explications que tu n’as pas demandées.  Survivre à ceux qui ont toujours un ami médecin ou avocat pour te faire chier.  Survivre à ceux qui argumentent pour le simple plaisir de te contredire.  Survivre à ceux qui ont besoin d’être applaudis.  Survivre aux réponses toutes faites.  Survivre aux trop parfaits et aux trop intenses. 
            Comprendre ton incapacité à contrôler les autres.  Comprendre qu’ils sont essentiels à ta vie.  Comprendre la place que tu peux leur donner.

jeudi 18 octobre 2018

Princesse Urbaine


Je suis une Contry Girl , je vous l’ai déjà dit. Mais parfois, j’aime bien changer de vie.  Ou plutôt, m’imaginer que je change de vie.  Pour nos vacances d’été cette année, nous avons décidé d’aller à Toronto et, tant qu’à faire, de louer un condo au centre-ville.  Pas d’auto, le 21e étage, les commerces à proximité, le bruit, le mouvement, les lumières, les terrasses branchées, du monde bien habillé.  Une autre vie pour nous tous. 
            Mais le moment où j’ai vraiment pu me convaincre que j’avais une autre vie, c’est lorsque je suis sortie toute seule pour faire les courses, laissant chum et enfants derrière moi (devant Netflix, point fort de notre voyage, il faut bien l’avouer). Alors nous étions là, moi, ma robe soleil un peu défraîchie et ma petite sacoche en bandoulière à zigzaguer à travers les condos et, dans ma tête je me disais que ce serait comme ça si j’étais une jeune urbaine branchée sans enfant et légèrement fortunée.  Bon, c’est certain qu’à ce moment-là, je serais certainement plus près du 20 ans que du 40 ans, que j’aurais une robe soleil plus tendance, une sacoche en vrai cuire et que je n’aurais pas acheté mes lunettes soleil à la pharmacie.  Mais, ce n’était pas grave, dans ma tête, je me croyais.  J’étais une jeune beauté pleine d’assurance.  J’étais une princesse urbaine, a urban princess. 
            Pourtant, je n’ai jamais été très princesse durant mon enfance, préférant de loin les histoires d’ogres, de sorcières et d’enfants abandonnés.  Mais, j’ai périodiquement mes petits moments d’égarement, comme lors de notre voyage à Walt Disney il y a deux ans. Au début de notre voyage, j’étais contente d’avoir engendré deux garçons et de me retrouver plus souvent qu’autrement dans la section Star Wars et de pouvoir lever le nez sur Cendrillon et compagnie. Et, pour être complètement honnête, avoir eu des garçons m’a carrément permis de ne pas avoir à me positionner sur l’épineuse question des princesses.  Une princesse, qui n’a qu`à être belle et à attendre son prince charmant, ça envoie un drôle de message aux jeunes filles, disons. Quoique les princesses modernes sont quand même plus débrouillardes et aventureuses que leurs prédécesseurs. Elles peuvent maintenant monter à cheval, combattre des méchants et diriger des empires.  Mais elles sont toujours jolies.  Elles vendent du rêve et une image plutôt stéréotypée de la femme.  On en a tellement vu de ces images de princesses que c’est bien certain qu’elles finissent, tôt ou tard, par nous influencer, consciemment ou non.  Alors, oui, après les feux d’artifices de Magic Kingdom, avec la musique de conte de fée et le château qui change de couleur, j’ai failli me garocher dans la boutique de princesse la plus proche pour m’acheter une robe de Cendrillon et j’ai résisté à l’envie de traîner de force ma tribu toute masculine dans le manège de la Reine des Neiges.  Ils m’avaient eu, je voulais être une princesse. 
            Toronto m’avait eu aussi, je voulais être une princesse, belle, jeune, moderne, indépendante fière et libre.   

jeudi 11 octobre 2018

La grisaille



J’aime quand la grisaille est de retour.  J’aime quand le mercure chute sous la barre de vingt degrés et que l’on doit ressortir les chaussettes et la veste de jeans.  J’aime que le soleil se fasse plus discret, que le vent frisquet vienne chatouiller ma peau encore bronzée.  J’aime ce temps maussade qui me donne le droit d’être triste, le droit de me refermer sur moi-même, de ne pas sortir, de ne pas être trop active ni trop efficace, le droit de procrastiner, de laisser les heures s’égrainer sans chercher à les combler.
Je vois les feuilles et les plantes qui roussissent et qui meurent tranquillement, comme si elles prenaient un repos bien mérité après avoir grandi et verdi tout l’été. Je sens ce repos qui m’appelle aussi.  Je pense à tout ce qui s’éteint.  Je pense à la mort.  Je pense aux êtres chers qui m’ont quittée, mais qui, contrairement à la nature, ne renaîtront pas.  La grisaille leur fait une place, ils peuvent venir se blottir contre moi.  Nous pouvons être tristes ensembles, faire revivre les souvenirs.  Je peux repenser à ton dernier automne papa, à ton dernier bal des citrouilles, à ta dernière marche au Caluron, à ta dernière dinde à la sauce dégueulasse.  Je me remémore les photos prises à cette époque, tu avais déjà commencé à maigrir, tu nous avais parlé de ton trou de ceinture, un de moins, tu avais ris, tu étais content.  Il faut croire qu’à partir d’un certain âge, maigrir n’est pas une bonne nouvelle.  Je repense à ton dernier automne maman.  Il y a 23 ans déjà, tu entamais ton dernier mois de vie sur terre. En chimiothérapie depuis plusieurs mois déjà, tu voyais la guérison approcher, elle était à ta portée, tu pouvais la toucher du bout des doigts, mais elle t’a fait faux bond, elle est allée sauver d’autres vies, te laissant incrédule et désemparée au bord du gouffre, à la merci de cette mort qui t’as fauchée d’un seul coup, toi aussi.
Le temps est sombre, l’air est froid, le vent siffle, nous prévenant qu’il faudra bientôt se mettre à l’abri, pour de bon.  À l’abri, ainsi, seule dans ma maison, j’ai l’impression que rien ne peut m’arriver.  Ma maison me protège.  De quoi ?   Je ne sais trop.  Des déceptions.  Des efforts non-récompensés.  De la comparaison.  Du trop grand bonheur des autres.  Première grisaille, premier feu.  Le bois mort que l’on brûle.  Les premières flammes, les premiers craquements, comme s’il reprenait vie.  Chaleur et lumière pour contrer la froide grisaille.
Cette noirceur qui s’installe, qui nous avale presque complètement.  Bientôt, je ne suis plus bien, j’étouffe, je suis prise à l’intérieur, l’extérieur est trop hostile.  Je manque de courage pour affronter cette hostilité.  Qu’est-ce que j’y gagnerais, de toute façon ? Vais-je seulement m’épuiser ?  J’ai peur de mourir.  La mort est là, elle me guette.  Quand elle le décidera, elle me saisira à bras-le-corps et je ne pourrai plus rien faire, je ne pourrai que contempler mon impuissance.
La nature se meurt.  Et je meurs un peu avec elle à chaque année.  Une année d’usure de plus.  Une année de vie de plus qui est partie en fumée.  Une année de plus qui me rapproche de la mort, de la fin.
Le temps est gris.  Il me semble plus honnête que le beau temps qui nous laisse croire à la facilité de la vie.  Dans cette vie où tout va vite tout le temps, où il faut constamment aller de l’avant, tourner la page, continuer, progresser, la peine, la tristesse et le deuil ont souvent bien peu de place.
 Mais aujourd’hui, j’ai le droit d’être triste.


jeudi 4 octobre 2018

Retour vers le futur



Je défais des boîtes.  Encore.  Au fur et à mesure que je place des objets dans mon ancienne/nouvelle maison, je sens revenir le passé.  Tout doucement.  Mes émotions arrivent au compte-gouttes. 
Pendant les premières semaines, il fallait aller vite, placer la chambre des enfants avant la rentrée scolaire, avoir une cuisine fonctionnelle, être capable de marcher dans le salon sans risquer de se blesser.  Il fallait appeler les assurances, régler une multitude de détails techniques.  Mes émotions semblaient m’avoir lâchées.  Pas le temps.  Il fallait continuer d’aller de l’avant, rassurer les enfants.
Maintenant, l’urgence est passée.  Il reste les détails.  La lampe à droite ou à gauche du vaisselier, les Lego au fond ou à l’entrée du salon ? Les cadres à accrocher, les petits objets à ranger.  Il y a aussi tous les objets de mon père qui sont encore dans la maison, les objets de ma famille, les objets de mon enfance.  J’en retrouve certains au sous-sol dans une armoire, je les reconnais aussitôt, même si je ne les ai pas vus depuis plus de 30 ans.  Il y a mon jeu de mémoire 12 wigwams, tout poussiéreux. Il consiste en 20 petites figurines d’indiens de quatre couleurs différentes qu’il faut cacher sous les tipis.  Je prenais toujours les rouges, je les reconnais.  Je joue un soir avec mes enfants et ma sœur.  Mon cadet tend spontanément la main vers les indiens rouges, j’ai un pincement au cœur, j’hésite à les laisser entre les mains de quelqu’un d’autre, fût-il mon propre fils.  Alors, je cache les petits indiens (les jaunes cette fois) sous les tipis et je me rappelle de façon très nette la joie que j’éprouvais à l’époque où je jouais avec ma sœur et mes parents (un tel jeu serait impensable aujourd’hui, genre full appropriation culturelle).
Il y a aussi les assiettes pour la fondue chinoise et les petits bols multicolores pour les sauces.  Juste à côté des bols pour la soupe à l’oignon (que ma mère faisait avec les restes de bouillon de la fondue).  Il y a le plat en pyrex dans lequel mon père faisait chauffer le maïs en crème pour son classique poulet BBQ-patates frites-maïs en crème.
Il y a, dans le bureau au 2e étage, deux tiroirs qui ne semblent pas avoir été touchés depuis plus de 20 ans.  Ils contiennent encore des effets personnels de ma mère. Dans le premier, tout son matériel à dessin. Elle avait débuté des cours quelque temps avant sa mort.  Tout est là, tel que dans mon souvenir, indemne.  Pas un crayon n’a été aiguisé depuis, pas une feuille n’a été noircie.  En déplaçant les objets, je reconnais tout-à-coup mon écriture d’adolescente au fond du tiroir.  J’ai écrit maman.  Je me souviens que je faisais souvent mes devoirs à cet endroit. J’ai dû griffonner ça dans un moment d’égarement, entre deux résolutions d’équations du second degré.  Mon écriture est là, tout simplement, au milieu des trucs de ma mère, comme si cela datait d’hier.  Dans l’autre tiroir, il y a son kit de couture, encore une fois identique à dans mon souvenir. Toutes les bobines de fils, toutes les aiguilles, tous les boutons, tous choisis et placés là par ma mère, ils sont là, figés dans le temps, dans ce tout petit espace, c’est comme si une partie de son âme était encore là.  Je ne touche à rien et referme le tiroir.  Je ne sais pas coudre.  Elle n’a pas eu le temps de me montrer.
Dans le fond d’une boîte, je retrouve la vieille montre de ma mère, arrêtée à l’heure de sa mort.  Je la remets dans la petite armoire à bijou encastrée au mur dans la chambre de ma mère, dans ma chambre.  Les larmes me montent au yeux.  Je referme la porte.  Je me sens bien.  Enfin, une émotion plus forte qui m’emporte.  Enfin, je commence à me déposer dans mon ancienne/nouvelle maison.