L’étage des soins palliatifs
à l’hôpital Notre-Dame, c’est le 5e étage. Je ne me rappelle plus du nom du pavillon par
contre. Tout ce que je me rappelle,
c’est que ce n’est pas dans le même pavillon que l’hémato-oncologie.
Quand nous sommes arrivés à l’hôpital ce vendredi soir de
mai (vendredi le 13 mai), il faisait beau et chaud. Il me semble que nous étions dans le Toyota RAV4 de mon père. Nikola, mon demi-frère, conduisait, j’étais
assise à l’avant côté passager, ma sœur et Merlin, mon autre demi, étaient
assis à l’arrière. Nous étions partis en
catastrophe, mais nous avions quand même amené chacun un petit bagage. Je pense que personne n’a parlé de tout le
voyage. Deux heures avec juste de la
musique et des pleurs. À un certain
moment, Niko me dit de texter Geneviève (sa mère, ma belle-mère) pour lui dire
notre heure d'arrivée, qu’avec Google Map
c’était possible d’être très précis quant à notre heure d’arrivée. Impressionnant, que je me suis dit, moi qui
n’est pas trop branchée technologie. Je
m’exécutai. Puis, je me dis qu’on allait sûrement zigoner un bon bout de temps
avant de trouver un stationnement et que ça, google ne le calculerait pas.
Comme quoi la vie finissait
toujours par nous rattraper, mon père était en train de mourir et moi j’avais
des réflexions sur google et le
stationnement.
Niko trouva finalement un stationnement en deux temps trois
mouvements et nous nous éjectâmes littéralement de la voiture (bon, quand je
dis nous, j’exclue évidemment Merlin,
qui est difficile d’extraire de sa zenitude). Nous courûmes pratiquement jusqu’au
pavillon. Pourquoi cet empressement ? Je
pense que nous avions tous un peu peur qu’il meurt avant qu’on arrive. Les dernières paroles de Geneviève étaient
quelque chose comme : « Ok. Yves est transféré aux soins palliatifs
de l’hôpital. Venez-vous en maintenant ».
Au rez-de-chaussée de ce pavillon, il y a toutes sortes de
départements administratifs. Nous
traversâmes de longs couloirs déserts avec, un peu partout, des plaques remerciant des donateurs d’accrochées
aux murs. Nous prîmes un vieil ascenseur et nous débouchâmes sur le corridor
des soins palliatifs, face au poste des infirmières. Il y avait du tapis, les lumières étaient
tamisées, je peux presque dire qu’on s’y sentait bien. Rien à voir avec l’horreur
du département d’hémato-oncologie. Je ne
me souviens plus si l’on s’informa au poste des infirmières pour connaître le
numéro de la chambre ou si on la connaissait déjà. Enfin, nous tournâmes à
droite et nous vîmes ma belle-mère au fond du corridor. Je me rappelle que nous étions encore très
troublés-bouleversés-choqués par les événements des jours précédents (Voir Pour une fin moins angoissante ) et, en même temps, soulagés d’être arrivés à destination,
destination finale s’il en est une. Ma belle-mère
nous accueillit et nous nous assîmes tous par terre au fond du corridor.
Pourquoi par terre ? Pourquoi dans le corridor ? Pourquoi pas dans le salon des
familles juste à côté ? Peut-être qu’il n’y avait plus de place, je ne sais
plus, tout ce que je sais c’est que cela s’est fait tout naturellement,
s’asseoir par terre dans le corridor. Ma
belle-mère a réussi à calmer notre rancœur en nous disant que l’endroit où mon
père passerait ces derniers instants importait peu au fond, que l’important
était que nous soyons tous là, avec lui.
Tout le reste s’évapora en effet à ce moment (il reviendrait plus tard).
Mon père était encore lucide à notre arrivée, il ouvrait
encore les yeux (demain, il ne les ouvrirait plus). Il m’entendit arriver près de lui, il se
retourna vers moi, me regarda, me sourit.
Ce fut notre dernier regard, notre dernier sourire. Son visage, à cet instant précis, je m’en
souviendrai toute ma vie. Je l’ai vu
dans ses yeux, je l’ai vu dans son sourire, il me disait adieu.
Je ne me souviens plus ce qu’on a fait pour souper ce
soir-là. Je pense qu’on a mangé dans la
petite cuisine des familles, mais je ne me rappelle plus quoi. Quelqu’un a dû
aller nous chercher de la bouffe quelque part, à moins que nous ayons fait
livrer…quoique je voie mal un livreur d’Au
Coq-BBQ arriver à l’étage des soins palliatifs. Il était très tard lorsque
nous soupâmes, genre 22h00 passé.
Comme il y avait deux lits pour la famille dans la chambre
de mon père, ma belle-mère et moi décidâmes de dormir là et ma sœur et les demi
d’aller dormir chez un oncle pas loin.
Je devais tout de même ressortir avec eux pour aller chercher mon bagage
dans l’auto. J’étais avec Niko, ma sœur et Geneviève et nous attendions Merl en
face du poste des infirmières. Il
apparut tout-à-coup avec un oreiller de l’hôpital dans les bras et il demanda à
sa mère s’il pouvait emprunter le dit oreiller pour la nuit ! La face que sa
mère a faite ! « Ben non », qu’elle lui dit, et lui d’insister :
« Ben quoi, je vais la ramener demain.
Chez Fred, il n’y aura pas assez
d’oreillers pour tout le monde. » Sa mère secoue la tête :
« Non, Merlin ». Et là, j’éclatai de rire. Fort. Plus capable de
m’arrêter (rire nerveux vous me direz, sûrement). Et il en rajoutait, il ne
comprenait pas pourquoi il ne pouvait pas juste le prendre pour la nuit, sortir
de l’hôpital avec et le ramener le lendemain matin comme si de rien n’était,
que nous avions ben assez d’oreillers comme ça dans la chambre de papa. Dire qu’en hémato-oncologie, on nous avait
bien précisé que c’était un seul oreiller par patient et que ça coûtait cher
les oreillers, et là, l’autre qui voulait se pousser avec un oreiller. J’ai ri jusqu’à l’auto, je pense. L’hôpital Notre-Dame : une histoire
d’oreillers.
Je suis revenue seule dans mon pavillon administratif. J’ai déambulé seule à travers les couloirs
sombres et déserts. La situation était
surréaliste. Il devait être près de
minuit et je me promenais dans les couloirs silencieux d’un hôpital avec mon
bagage. J’ai même faillit me
perdre. Je m’en allais rejoindre mon
père pour sa dernière nuit.
Quand je suis revenue à l’étage, je suis allée prendre ma
douche. Il y avait une grande salle de
douche adaptée que l’infirmière nous avait dit qu’on pouvait utiliser. Je prenais ma douche et je faisais les mêmes
gestes que d’habitude. Je savonnais, je
rinçais, je frottais. Je faisais tous
ces gestes familiers comme si j’étais chez-moi, mais cette fois-ci, j’étais
entourée de mourants.
Je suis retournée à la chambre. Geneviève dormait déjà. Je me suis glissée sous les couvertures et je
me suis endormie au rythme du souffle agonissant de mon père.
Le matin, quand je me suis réveillée, Geneviève était déjà
levée, elle était assise aux côtés de mon père, elle lui tenait la main et elle
lui parlait de toutes sortes de choses.
Je me suis habillée tout en l’écoutant lui parler. Comme il était encore tôt, 7 heures je crois, j’ai décidé de garder mon
bas de pyjama pour un temps encore, celui-ci étant beaucoup plus confortable
que mes jeans. L’infirmière de nuit vint faire sa dernière visite. Elle dit que
la coloration de la peau de mon père commençait à changer ; elle était bleue
par endroit. Elle dit que ça pourrait aller vite. Geneviève demanda si elle devrait faire venir
immédiatement les autres enfants.
L’infirmière répondit : « Mais,
il se peut qu’il soit encore là ce soir.
Chicanez moi pas si ça arrive. » Tu parles d’une drôle de
réponse. Geneviève les appela et ils
furent là en moins de 10 minutes. Et là, tout s’enchaîna, une des journées les
plus surréalistes de ma vie.
Il fallut appeler la famille élargie, les
frères et sœurs de mon père, ses amis ; c’était leur dernière chance de le voir
vivant. Je ne me souviens plus qui s’est
occupé de tout ça, ce n’est pas moi en tout cas, je pense que c’est Niko. Un des meilleurs amis de mon père arriva, il
alla nous chercher à déjeuner. Le frère
cadet de mon père était là avec sa femme et ses enfants, des amis et de la
famille de Geneviève arrivèrent. Mon
père aura deux fortes réactions cette journée-là, lorsque sa sœur et un de ses
amis qu’il n’avait pas vu depuis longtemps arrivèrent. Il leur agrippa le bras et se releva dans son
lit, je pense même qu’il ouvrit les yeux.
J’en fus profondément bouleversée.
J’avais quasiment l’impression d’assister à un miracle.
Mon chum arriva avec mon amie et les enfants . Nous avions hésités à les amener voir grand-papa aux soins palliatifs. Je l’ai fait pour mon père surtout, je me suis dit que, s’il pouvait encore entendre, comme on nous le disait, ça lui ferait sûrement plaisir d’entendre la voix de ses petits-fils. Ils repartirent plus tard avec mon amie.
Toute la journée, on a accueilli des gens, on les a guidé
jusqu’à la chambre de mon père, on leur a offert un siège pour s’asseoir à ses
côtés et passer un dernier moment avec lui, on leur a expliqué où se trouvait
les toilettes et la cafétéria, on à gérer ça comme des grandes, parfois on se
regardait, les trois filles, du coin de l’œil, comme pour se donner du courage,
de la force pour continuer et ne pas s’effondrer. Quelqu’un m’a nourrit sur un
banc de parc à l’extérieur de l’hôpital pour le dîner. J’ai vu des gens toute la journée, je les ai
vu entrer dans la chambre de mon père, je les ai vu être bouleversés, je les ai
vu se mettre à pleurer et nous, nous étions là, bien droites sur nos deux
jambes, les yeux secs et le corps
remplit d’adrénaline au possible.
À un certain moment, j’entendis quelqu’un crier dans la chambre
d’en face et éclater en sanglots bruyamment.
Ça y était, celui-là était parti. Plus tard, les infirmières passèrent
fermer toutes les portes des chambres : il y avait un corps à sortir. Et beaucoup plus tard, dans la nuit, une fois
que mon père aurait rendu l’âme à son tour, j’entendrai un jeune homme d’une
vingtaine d’années pleurer au téléphone en disant qu’il aurait dû prendre congé
hier de sa job parce qu’hier sa mère parlait encore et qu’aujourd’hui elle ne
parlait plus. Je me suis dit, à ce
moment-là, que les soins palliatifs c’était un peu comme les salles
d’accouchement, dans les deux cas tu es dans une sorte d’attente et, autour de
toi, il y en a qui sont déjà arrivés, et d’autres, qui commencent à peine leur
chemin.
Quelqu’un nous avait préparé des sandwichs pour
souper. Il fallait bien continuer à
répondre à nos besoins de base : manger, aller à la toilette, dormir. À chaque fois, ces activités réussissaient à
nous tirer un peu vers le monde réel, nous qui avions sans cesse l’impression
d’être passés dans une autre dimension.
J’aurai finalement passé toute cette journée avec mon bas de
pyjama. Pas le temps de me changer.
Mon père nous quitta au milieu de la nuit, à 2 heures du
matin. Nous n’étions plus que nous. Il aura laissé la chance à tout le monde de
venir lui dire adieu. Je me sens
privilégiée d’avoir pu passer ces derniers instants avec lui, même si, en
quelque part, voir mourir quelqu’un sous ses yeux est en soi une expérience
d’une violence inouïe.