jeudi 4 octobre 2018

Retour vers le futur



Je défais des boîtes.  Encore.  Au fur et à mesure que je place des objets dans mon ancienne/nouvelle maison, je sens revenir le passé.  Tout doucement.  Mes émotions arrivent au compte-gouttes. 
Pendant les premières semaines, il fallait aller vite, placer la chambre des enfants avant la rentrée scolaire, avoir une cuisine fonctionnelle, être capable de marcher dans le salon sans risquer de se blesser.  Il fallait appeler les assurances, régler une multitude de détails techniques.  Mes émotions semblaient m’avoir lâchées.  Pas le temps.  Il fallait continuer d’aller de l’avant, rassurer les enfants.
Maintenant, l’urgence est passée.  Il reste les détails.  La lampe à droite ou à gauche du vaisselier, les Lego au fond ou à l’entrée du salon ? Les cadres à accrocher, les petits objets à ranger.  Il y a aussi tous les objets de mon père qui sont encore dans la maison, les objets de ma famille, les objets de mon enfance.  J’en retrouve certains au sous-sol dans une armoire, je les reconnais aussitôt, même si je ne les ai pas vus depuis plus de 30 ans.  Il y a mon jeu de mémoire 12 wigwams, tout poussiéreux. Il consiste en 20 petites figurines d’indiens de quatre couleurs différentes qu’il faut cacher sous les tipis.  Je prenais toujours les rouges, je les reconnais.  Je joue un soir avec mes enfants et ma sœur.  Mon cadet tend spontanément la main vers les indiens rouges, j’ai un pincement au cœur, j’hésite à les laisser entre les mains de quelqu’un d’autre, fût-il mon propre fils.  Alors, je cache les petits indiens (les jaunes cette fois) sous les tipis et je me rappelle de façon très nette la joie que j’éprouvais à l’époque où je jouais avec ma sœur et mes parents (un tel jeu serait impensable aujourd’hui, genre full appropriation culturelle).
Il y a aussi les assiettes pour la fondue chinoise et les petits bols multicolores pour les sauces.  Juste à côté des bols pour la soupe à l’oignon (que ma mère faisait avec les restes de bouillon de la fondue).  Il y a le plat en pyrex dans lequel mon père faisait chauffer le maïs en crème pour son classique poulet BBQ-patates frites-maïs en crème.
Il y a, dans le bureau au 2e étage, deux tiroirs qui ne semblent pas avoir été touchés depuis plus de 20 ans.  Ils contiennent encore des effets personnels de ma mère. Dans le premier, tout son matériel à dessin. Elle avait débuté des cours quelque temps avant sa mort.  Tout est là, tel que dans mon souvenir, indemne.  Pas un crayon n’a été aiguisé depuis, pas une feuille n’a été noircie.  En déplaçant les objets, je reconnais tout-à-coup mon écriture d’adolescente au fond du tiroir.  J’ai écrit maman.  Je me souviens que je faisais souvent mes devoirs à cet endroit. J’ai dû griffonner ça dans un moment d’égarement, entre deux résolutions d’équations du second degré.  Mon écriture est là, tout simplement, au milieu des trucs de ma mère, comme si cela datait d’hier.  Dans l’autre tiroir, il y a son kit de couture, encore une fois identique à dans mon souvenir. Toutes les bobines de fils, toutes les aiguilles, tous les boutons, tous choisis et placés là par ma mère, ils sont là, figés dans le temps, dans ce tout petit espace, c’est comme si une partie de son âme était encore là.  Je ne touche à rien et referme le tiroir.  Je ne sais pas coudre.  Elle n’a pas eu le temps de me montrer.
Dans le fond d’une boîte, je retrouve la vieille montre de ma mère, arrêtée à l’heure de sa mort.  Je la remets dans la petite armoire à bijou encastrée au mur dans la chambre de ma mère, dans ma chambre.  Les larmes me montent au yeux.  Je referme la porte.  Je me sens bien.  Enfin, une émotion plus forte qui m’emporte.  Enfin, je commence à me déposer dans mon ancienne/nouvelle maison.

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