J’aime
quand la grisaille est de retour. J’aime
quand le mercure chute sous la barre de vingt degrés et que l’on doit ressortir
les chaussettes et la veste de jeans.
J’aime que le soleil se fasse plus discret, que le vent frisquet vienne chatouiller
ma peau encore bronzée. J’aime ce temps
maussade qui me donne le droit d’être triste, le droit de me refermer sur
moi-même, de ne pas sortir, de ne pas être trop active ni trop efficace, le
droit de procrastiner, de laisser les heures s’égrainer sans chercher à les
combler.
Je
vois les feuilles et les plantes qui roussissent et qui meurent tranquillement,
comme si elles prenaient un repos bien mérité après avoir grandi et verdi tout
l’été. Je sens ce repos qui m’appelle aussi.
Je pense à tout ce qui s’éteint.
Je pense à la mort. Je pense aux
êtres chers qui m’ont quittée, mais qui, contrairement à la nature, ne
renaîtront pas. La grisaille leur fait
une place, ils peuvent venir se blottir contre moi. Nous pouvons être tristes ensembles, faire
revivre les souvenirs. Je peux repenser
à ton dernier automne papa, à ton dernier bal des citrouilles, à ta dernière
marche au Caluron, à ta dernière
dinde à la sauce dégueulasse. Je me
remémore les photos prises à cette époque, tu avais déjà commencé à maigrir, tu
nous avais parlé de ton trou de ceinture, un de moins, tu avais ris, tu étais
content. Il faut croire qu’à partir d’un
certain âge, maigrir n’est pas une bonne nouvelle. Je repense à ton dernier automne maman. Il y a 23 ans déjà, tu entamais ton dernier
mois de vie sur terre. En chimiothérapie depuis plusieurs mois déjà, tu voyais
la guérison approcher, elle était à ta portée, tu pouvais la toucher du bout
des doigts, mais elle t’a fait faux bond, elle est allée sauver d’autres vies,
te laissant incrédule et désemparée au bord du gouffre, à la merci de cette
mort qui t’as fauchée d’un seul coup, toi aussi.
Le
temps est sombre, l’air est froid, le vent siffle, nous prévenant qu’il faudra
bientôt se mettre à l’abri, pour de bon.
À l’abri, ainsi, seule dans ma maison, j’ai l’impression que rien ne
peut m’arriver. Ma maison me
protège. De quoi ? Je ne sais trop. Des déceptions. Des efforts non-récompensés. De la comparaison. Du trop grand bonheur des autres. Première grisaille, premier feu. Le bois mort que l’on brûle. Les premières flammes, les premiers
craquements, comme s’il reprenait vie.
Chaleur et lumière pour contrer la froide grisaille.
Cette
noirceur qui s’installe, qui nous avale presque complètement. Bientôt, je ne suis plus bien, j’étouffe, je
suis prise à l’intérieur, l’extérieur est trop hostile. Je manque de courage pour affronter cette
hostilité. Qu’est-ce que j’y gagnerais,
de toute façon ? Vais-je seulement m’épuiser ?
J’ai peur de mourir. La mort est
là, elle me guette. Quand elle le
décidera, elle me saisira à bras-le-corps et je ne pourrai plus rien faire, je
ne pourrai que contempler mon impuissance.
La
nature se meurt. Et je meurs un peu avec
elle à chaque année. Une année d’usure
de plus. Une année de vie de plus qui
est partie en fumée. Une année de plus
qui me rapproche de la mort, de la fin.
Le
temps est gris. Il me semble plus
honnête que le beau temps qui nous laisse croire à la facilité de la vie. Dans cette vie où tout va vite tout le temps,
où il faut constamment aller de l’avant, tourner la page, continuer,
progresser, la peine, la tristesse et le deuil ont souvent bien peu de place.
Mais aujourd’hui, j’ai le droit d’être triste.
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