Il y a quelques semaines, je
suis allée à la piscine avec mon fils aîné pour son cours de natation. À un certain moment, le professeur a fait
sortir les enfants de l’eau et leur a demandé d’aller se chercher une
nouille. Et là, le chaos s’est installé progressivement. Les enfants se mirent à transformer leurs
nouilles en épée laser, ils frappèrent dans l’eau avec pour voir le bruit que
ça faisait, bref, aucun n’écoutait les consignes du prof, tous plus distraits
les uns que les autres par leur gros spaghetti jaune. Enfin, tous sauf une. Une jeune fille au
casque de bain rose qui se tenait debout bien droite et immobile, sur le bord
de la piscine, silencieuse et attentive aux paroles du professeur. Et là, j’ai
eu l’impression de me voir. Cette petite fille, c’était moi. C’était moi à cet âge, à l’école primaire. L’enfant sage qui écoute, qui fait ce qu’on
lui dit, qui veut bien faire, qui veut plaire.
Qui veut plaire aux adultes autant qu’aux autres enfants, mais qui
réussit rarement. Qui réussit rarement
parce qu’au fond, quelqu’un de sage, c’est ennuyant. Ça écoute tout le temps,
ça n’argumente jamais, ça ne questionne pas, c’est beige, c’est plat, c’est
linéaire. Et surtout, ça ne veut pas
déranger et ça s’arrange tout seul. Un
enfant sage on oublie que ça existe, on ne se rappelle même plus à quoi il ressemble
ni comment il s’appelle.
Ce souci de vouloir plaire à tout prix m’a d’ailleurs
souvent joué des tours, comme lors de ce cours de musique mémorable en 2e
année. J’étais assise au sol sur le
tapis gris qui recouvrait le plancher de la classe de musique et je m’affairais
à reproduire des notes sur mon xylophone comme l’ensemble de mes compatriotes
lorsqu’une envie d’uriner me pris par surprise.
Comme notre professeur n’était pas très encline à nous laisser sortir de
la classe pour aller se soulager et ne manquait pas de nous signifier, à chaque
fois, dans un discours interminable, qu’il fallait être plus responsable et
penser à faire nos petits besoins à la récréation, je me suis dit qu’il était
hors de question que je lui fasse une telle demande et je décidai donc de me
retenir jusqu’à la fin du cours. Erreur.
J’en fus incapable. Un cercle foncé se
dessina donc tranquillement autour de moi et de mon xylophone, ce qui provoqua
des cris de stupéfaction chez plusieurs de mes voisins. Dire que mon objectif premier était de passer
inaperçue et de ne pas déranger. Je
pense que c’est à partir de ce moment-là que j’ai réalisé que quelque chose
n’allait pas chez moi, que j’étais peut-être trop sage, trop inhibée, et je me suis également mise à penser que
j’étais peut-être aussi anormale, les
autres enfants de mon âge n’ayant pas l’habitude d’uriner au beau milieu d’un
cours de musique.
Il faut dire qu’en plus d’être sage, j’étais aussi bonne
à l’école. Je performais. Le jackpot
pour mes parents et mes professeurs. J’ai
compris plus tard que je faisais en fait de l’anxiété de performance, car même
si j’avais de bonnes notes, je n’étais jamais satisfaite. Je me comparais sans cesse aux autres et
notais en quoi j’étais moins bonne.
Quand on relevait mes forces, je me disais que c’était exagéré et si on
avait le malheur de me faire une toute mini critique, j’étais démolie.
Alors, quand je regarde cette petite fille au casque de
bain rose, sur le bord de la piscine, je me demande comment elle se sent
en-dedans. Est-ce qu’au fond elle, elle aurait le goût d’aller rejoindre les
chevaliers de la nouille jaune ? Est-ce qu’elle a trop peur de déplaire au
professeur ? Est-ce qu’elle ne sait
juste pas comment faire autrement ? Est-ce qu’elle est heureuse ? Puis, je
regarde mon fils et son énergie débordante, qui suit ses instincts, qui fait ce
qu’il a envie de faire sans trop se soucier du reste et je me demande qu’est-ce
qui est le mieux au fond? Évidemment, la réponse est probablement quelque part
entre les deux.
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