jeudi 10 mai 2018

La petite fille au casque de bain rose




Il y a quelques semaines, je suis allée à la piscine avec mon fils aîné pour son cours de natation.  À un certain moment, le professeur a fait sortir les enfants de l’eau et leur a demandé d’aller se chercher une nouille.  Et là, le chaos s’est installé progressivement.  Les enfants se mirent à transformer leurs nouilles en épée laser, ils frappèrent dans l’eau avec pour voir le bruit que ça faisait, bref, aucun n’écoutait les consignes du prof, tous plus distraits les uns que les autres par leur gros spaghetti jaune.  Enfin, tous sauf une. Une jeune fille au casque de bain rose qui se tenait debout bien droite et immobile, sur le bord de la piscine, silencieuse et attentive aux paroles du professeur. Et là, j’ai eu l’impression de me voir. Cette petite fille, c’était moi.  C’était moi à cet âge, à l’école primaire.  L’enfant sage qui écoute, qui fait ce qu’on lui dit, qui veut bien faire, qui veut plaire.  Qui veut plaire aux adultes autant qu’aux autres enfants, mais qui réussit rarement.  Qui réussit rarement parce qu’au fond, quelqu’un de sage, c’est ennuyant. Ça écoute tout le temps, ça n’argumente jamais, ça ne questionne pas, c’est beige, c’est plat, c’est linéaire.  Et surtout, ça ne veut pas déranger et ça s’arrange tout seul.  Un enfant sage on oublie que ça existe, on ne se rappelle même plus à quoi il ressemble ni comment il s’appelle.

            Ce souci de vouloir plaire à tout prix m’a d’ailleurs souvent joué des tours, comme lors de ce cours de musique mémorable en 2e année.  J’étais assise au sol sur le tapis gris qui recouvrait le plancher de la classe de musique et je m’affairais à reproduire des notes sur mon xylophone comme l’ensemble de mes compatriotes lorsqu’une envie d’uriner me pris par surprise.  Comme notre professeur n’était pas très encline à nous laisser sortir de la classe pour aller se soulager et ne manquait pas de nous signifier, à chaque fois, dans un discours interminable, qu’il fallait être plus responsable et penser à faire nos petits besoins à la récréation, je me suis dit qu’il était hors de question que je lui fasse une telle demande et je décidai donc de me retenir jusqu’à la fin du cours.  Erreur. J’en fus incapable.  Un cercle foncé se dessina donc tranquillement autour de moi et de mon xylophone, ce qui provoqua des cris de stupéfaction chez plusieurs de mes voisins.  Dire que mon objectif premier était de passer inaperçue et de ne pas déranger.  Je pense que c’est à partir de ce moment-là que j’ai réalisé que quelque chose n’allait pas chez moi, que j’étais peut-être trop sage, trop inhibée, et je me suis également mise à penser que j’étais peut-être aussi anormale, les autres enfants de mon âge n’ayant pas l’habitude d’uriner au beau milieu d’un cours de musique.

            Il faut dire qu’en plus d’être sage, j’étais aussi bonne à l’école. Je performais. Le jackpot pour mes parents et mes professeurs.  J’ai compris plus tard que je faisais en fait de l’anxiété de performance, car même si j’avais de bonnes notes, je n’étais jamais satisfaite.  Je me comparais sans cesse aux autres et notais en quoi j’étais moins bonne.  Quand on relevait mes forces, je me disais que c’était exagéré et si on avait le malheur de me faire une toute mini critique, j’étais démolie.

            Alors, quand je regarde cette petite fille au casque de bain rose, sur le bord de la piscine, je me demande comment elle se sent en-dedans. Est-ce qu’au fond elle, elle aurait le goût d’aller rejoindre les chevaliers de la nouille jaune ? Est-ce qu’elle a trop peur de déplaire au professeur ?  Est-ce qu’elle ne sait juste pas comment faire autrement ? Est-ce qu’elle est heureuse ? Puis, je regarde mon fils et son énergie débordante, qui suit ses instincts, qui fait ce qu’il a envie de faire sans trop se soucier du reste et je me demande qu’est-ce qui est le mieux au fond? Évidemment, la réponse est probablement quelque part entre les deux.

           


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