jeudi 20 septembre 2018

Comment survivre à ses enfants ?


Oui, parce que c’est bien ça le défi, il faut réussir à leur survivre.  Leur consacrer 18 ans de notre vie (et quand je dis 18 ans, c’est comme le minimum garantit) et tenter de s’en sortit indemne, avec tous ses morceaux, et surtout, avec toute sa tête, car le plus grand danger est bien là, y laisser sa santé mentale.

Il faut survivre à la première année.  La pire de toute, la plus déstabilisante, la plus exigeante.  Il faut survivre à tous ces petits deuils qu’impose le passage à la vie de parents. Il faut apprendre à regarder ce que l’on crée et non ce que l’on perd.  Il faut apprendre à regarder ce jeune couple d’amis partir en camping sur un coup de tête, avec un tout petit bagage, main dans la main, libres comme l’air, ne pas les envier, leur sourire, éviter la nostalgie de notre vie passée, ne pas avoir de pincement au cœur. Il faut survivre à tous ces doutes qui vous assaillent, à toutes ces questions qui restent sans réponse. Est-ce que je suis une bonne mère ? A-t-il assez bu ? Il me semble que mon bébé pleure plus que les autres ? Il faut éviter à tout prix de se juger trop sévèrement, de se diminuer, de laisser son estime personnelle se fissurer, d’accorder trop d’importance à des propos destructeurs. Un bébé ne pleure jamais pour rien, c’est à toi de trouver ce qu’il tente de te dire.  Ton bébé a soif, tu dois l’allaiter avant de partir.  Pourquoi tu le couches si tôt, on n’a jamais le temps de le voir ! Tu es certaine que c’est une bonne idée de le laisser pleurer, tu n’as pas peur qu’il se sente abandonné ? Il faut également que le corps survivre à cette année de bouleversements, qu’il tienne le coup.  Qu’il absorbe toutes ces variations hormonales, tout ce stress vaginal, toutes ces blessures, toutes ces douleurs.  Qu’il encaisse tous ces regards posés sur lui à des endroits autrement intimes, tous ces touchés vaginaux, toutes ces palpations, toutes ces mesures, toutes ces observations.  Il faut qu’il s’habitue à allaiter, à avoir mal aux seins.  Il faut apprendre à aimer à nouveau ce corps qui ne semble plus nous appartenir.

Il faut ensuite survivre aux années préscolaires.  À toutes ces crises, à toutes ces émotions à l’état brute. Tenter de se maîtriser, de se calmer, de garder son sang froid.  Pour ne pas commettre l’irréparable.  Contrôler sa propre colère, sa propre irritabilité, réaliser que l’on a personnellement encore du chemin à faire côté gestion des émotions. Se demander comment faire pour que ses propres failles n’en créent pas de plus grandes chez ses enfants.  S’écouter crier après ses enfants et se demander pourquoi c’est si difficile d’arrêter.  Tirer ton enfant par le bras pour le relever après sa 15e crise de bacon pour une banalité et tenter de ne pas t’écrouler sous les remords. Survivre aux « Je ne t’aime plus ! », aux « T’es pas belle ! »  Regarder, impuissante, tes enfants déconner au restaurent et éviter que les regards accusateurs des autres clients anéantissent le peu de confiance en toi que tu as réussis à emmagasiner au fil des années.  Il faut aussi survivre aux réveils nocturnes ou trop hâtifs.  Il faut survivre à toutes ces maladies infantiles dont on avait oublié l’existence et qui reviennent en force dans notre vie.  Il faut survivre aux gastros, aux faux croup, aux otites, aux amygdalites, aux bronchiolites et tous ces autres ites.  Il faut survivre à cette longue marche vers l’autonomie, à tous ces apprentissages qui jalonnent le chemin de la petite enfance.  Apprendre à ses enfants à marcher seul, manger seul, dormir seul, faire pipi seul, et tout ça sans crouler sous la pression sociale ou familiale, sans perdre de vue ses valeurs, en tentant de rester soi-même.  Il faut survivre au manque de temps, aux cheveux gras, aux sourcils pas épilés, au linge démodé et au ménage pas fait.

À l’âge scolaire, il faut survivre à cet éloignement progressif qui commence déjà.  Accepter que nos enfants, tout doucement, fassent leur propre vie, prennent leurs propres décisions.  S’habituer à ce qu’ils aient une vie parallèle à leur vie familiale, une vie dans laquelle on ne contrôle pas tout, en fait, dans laquelle on ne contrôle rien.  Survivre aux billets oranges qui reviennent de l’école et réussir à faire taire la petite voix intérieure qui dit que c’est de notre faute.  Survivre au visage déconfit de ton enfant qui revient de l’école et qui est incapable d’exprimer ce qui ne va pas.  Il faut survivre aux chicanes incessantes entre frères et sœurs, survivre au découragement inévitable qui s’en suit lorsque tu te demandes comment on peut autant s’aimer et s’haïr à la fois.  Survivre aux négociations, aux argumentations incessantes, sans y perdre la raison.  Survivre aux devoirs, aux « Tu ne comprends rien !!! », ou aux « Non, ce n’est pas comme ça que la prof a dit !!! », mais sans se rappeler vraiment ce que la prof a dit justement.  Survivre à ce temps libre qui revient peu à peu et que tu dois ré apprivoiser. Survivre à toutes les culpabilités, du soulagement quand l’autobus scolaire les emporte, à la pizza congelée pour souper, en passant par les pleurs ignorés qui étaient en fait de réelles souffrances.    

Il faudra aussi survivre à l’adolescence, subir et survivre au rejet et au mépris de tes propres enfants, de la chair de ta chair.  Survivre à toutes les inquiétudes et toutes les impuissances.

Il faudra encore survivre à leurs premiers pas hésitants dans l’âge adulte, à leurs craintes, à leurs espoirs déçus ou à leur prospérité inattendue.  Survivre à leurs propres questionnements, à leurs remises en question à eux.

Survivre à tout ça.  Et sourire.  Constater à quel point tes enfants te transforment, sans perdre le cap de ta propre vie.  Survivre pour de vrai, au sens propre, pour partager tout ça avec eux.




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