Oui,
parce que c’est bien ça le défi, il faut réussir à leur survivre. Leur consacrer 18 ans de notre vie (et quand
je dis 18 ans, c’est comme le minimum garantit) et tenter de s’en sortit
indemne, avec tous ses morceaux, et surtout, avec toute sa tête, car le plus
grand danger est bien là, y laisser sa santé mentale.
Il faut
survivre à la première année. La pire de
toute, la plus déstabilisante, la plus exigeante. Il faut survivre à tous ces petits deuils
qu’impose le passage à la vie de parents. Il faut apprendre à regarder ce que
l’on crée et non ce que l’on perd. Il
faut apprendre à regarder ce jeune couple d’amis partir en camping sur un coup
de tête, avec un tout petit bagage, main dans la main, libres comme l’air, ne
pas les envier, leur sourire, éviter la nostalgie de notre vie passée, ne pas
avoir de pincement au cœur. Il faut survivre à tous ces doutes qui vous
assaillent, à toutes ces questions qui restent sans réponse. Est-ce que je suis une bonne mère ? A-t-il
assez bu ? Il me semble que mon bébé pleure plus que les autres ? Il faut
éviter à tout prix de se juger trop sévèrement, de se diminuer, de laisser son
estime personnelle se fissurer, d’accorder trop d’importance à des propos
destructeurs. Un bébé ne pleure jamais
pour rien, c’est à toi de trouver ce qu’il tente de te dire. Ton bébé a soif, tu dois l’allaiter avant de
partir. Pourquoi tu le couches si tôt,
on n’a jamais le temps de le voir ! Tu es certaine que c’est une bonne idée de
le laisser pleurer, tu n’as pas peur qu’il se sente abandonné ? Il faut
également que le corps survivre à cette année de bouleversements, qu’il tienne
le coup. Qu’il absorbe toutes ces
variations hormonales, tout ce stress vaginal, toutes ces blessures, toutes ces
douleurs. Qu’il encaisse tous ces
regards posés sur lui à des endroits autrement intimes, tous ces touchés
vaginaux, toutes ces palpations, toutes ces mesures, toutes ces observations. Il faut qu’il s’habitue à allaiter, à avoir
mal aux seins. Il faut apprendre à aimer
à nouveau ce corps qui ne semble plus nous appartenir.
Il
faut ensuite survivre aux années préscolaires.
À toutes ces crises, à toutes ces émotions à l’état brute. Tenter de se
maîtriser, de se calmer, de garder son sang froid. Pour ne pas commettre l’irréparable. Contrôler sa propre colère, sa propre
irritabilité, réaliser que l’on a personnellement encore du chemin à faire côté
gestion des émotions. Se demander comment faire pour que ses propres failles
n’en créent pas de plus grandes chez ses enfants. S’écouter crier après ses enfants et se
demander pourquoi c’est si difficile d’arrêter.
Tirer ton enfant par le bras pour le relever après sa 15e crise
de bacon pour une banalité et tenter de ne pas t’écrouler sous les remords.
Survivre aux « Je ne t’aime plus ! », aux « T’es pas belle
! » Regarder, impuissante, tes
enfants déconner au restaurent et éviter que les regards accusateurs des autres
clients anéantissent le peu de confiance en toi que tu as réussis à emmagasiner
au fil des années. Il faut aussi
survivre aux réveils nocturnes ou trop hâtifs.
Il faut survivre à toutes ces maladies infantiles dont on avait oublié
l’existence et qui reviennent en force dans notre vie. Il faut survivre aux gastros, aux faux croup,
aux otites, aux amygdalites, aux bronchiolites et tous ces autres ites.
Il faut survivre à cette longue marche vers l’autonomie, à tous ces
apprentissages qui jalonnent le chemin de la petite enfance. Apprendre à ses enfants à marcher seul,
manger seul, dormir seul, faire pipi seul, et tout ça sans crouler sous la
pression sociale ou familiale, sans perdre de vue ses valeurs, en tentant de
rester soi-même. Il faut survivre au
manque de temps, aux cheveux gras, aux sourcils pas épilés, au linge démodé et
au ménage pas fait.
À
l’âge scolaire, il faut survivre à cet éloignement progressif qui commence déjà. Accepter que nos enfants, tout doucement,
fassent leur propre vie, prennent leurs propres décisions. S’habituer à ce qu’ils aient une vie
parallèle à leur vie familiale, une vie dans laquelle on ne contrôle pas tout,
en fait, dans laquelle on ne contrôle rien.
Survivre aux billets oranges qui reviennent de l’école et réussir à
faire taire la petite voix intérieure qui dit que c’est de notre faute. Survivre au visage déconfit de ton enfant qui
revient de l’école et qui est incapable d’exprimer ce qui ne va pas. Il faut survivre aux chicanes incessantes
entre frères et sœurs, survivre au découragement inévitable qui s’en suit
lorsque tu te demandes comment on peut autant s’aimer et s’haïr à la fois. Survivre aux négociations, aux argumentations
incessantes, sans y perdre la raison.
Survivre aux devoirs, aux « Tu ne comprends rien !!! », ou aux
« Non, ce n’est pas comme ça que la prof a dit !!! », mais sans se
rappeler vraiment ce que la prof a dit justement. Survivre à ce temps libre qui revient peu à
peu et que tu dois ré apprivoiser. Survivre à toutes les culpabilités, du soulagement
quand l’autobus scolaire les emporte, à la pizza congelée pour souper, en
passant par les pleurs ignorés qui étaient en fait de réelles souffrances.
Il
faudra aussi survivre à l’adolescence, subir et survivre au rejet et au mépris
de tes propres enfants, de la chair de ta chair. Survivre à toutes les inquiétudes et toutes
les impuissances.
Il
faudra encore survivre à leurs premiers pas hésitants dans l’âge adulte, à
leurs craintes, à leurs espoirs déçus ou à leur prospérité inattendue. Survivre à leurs propres questionnements, à
leurs remises en question à eux.
Survivre
à tout ça. Et sourire. Constater à quel point tes enfants te
transforment, sans perdre le cap de ta propre vie. Survivre pour de vrai, au sens propre, pour
partager tout ça avec eux.
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