jeudi 8 mars 2018

La cinquième saison


La meilleure de toute.  Courte et intense.  Ma saison préférée.  Un pied dans l’hiver et un autre dans le printemps.  Le temps des sucres.

          Chaque année, la même fébrilité.  Il est 17h30, il fait encore clair.  Il est 6h30 le matin, le foyer ne fonctionne pas et on est bien dans la maison.  Pire encore, les chats veulent sortir dehors, ils grattent la porte, ils le sentent que le printemps est à nos portes, que l’hiver tire sa révérence.  Ils le sentent qu’il fait suffisamment chaud pour bouder la litière et aller faire leur petite commission à l’extérieur.  C’est encore l’hiver, mais plus pour longtemps.  Le manteau se détache en après-midi, les mitaines reviennent détrempées de l’école, les oiseaux chantent et le soleil nous réchauffe.  La douce mélodie du ruissellement de l’eau, le chant de la libération, de la vie plus facile qui refait surface.  C’est avec une joie non feinte que je laisse mon foulard choir un fond de la garde-robe et que j’enferme mes mitaines au fond de mes poches.  Je souris presqu’à chaque rebond de mon auto sur un nid de poule, car cela signifie que la ligne d’arrivée est en vue.  Ça y est, on a réussi, on a survécu à un autre hiver, les froids sibériens sont maintenant derrière nous.

          Le temps des sucres est arrivé, la saison de la boue et de la neige molle est de retour.   Quelle excitation que j’ai de célébrer ce passage de l’hiver au printemps en entaillant quelques érables pour récolter leur sève sucrée. Quel bonheur de se lever le matin et de partir à la cabane à sucre avec mes grosses bottes à vaches doublées, mon pantalon imperméable, ma chemise de chasse, mes vieux gants troués, mon lunch et mon euphorie printanière.  Quel privilège de pénétrer dans la cabane à sucre froide et silencieuse, d’y partir un feu, de calibrer le thermomètre, d’installer les filtres, d’ouvrir les panneaux, de lancer la machine.  Quelle joie de sortir la vieille chaise berçante en bois de mon père à l’extérieur et de s’y détendre quelques instants en écoutant la faune qui se réveille.  Quelle chance de pouvoir sentir la chaleur monter tranquillement, de voir la cabane se saturer de vapeur sucrée, de sentir l’odeur de la terre qui dégèle et celle du sirop enfin prêt.  Que d’amusements à regarder cette neige mouillée qui tombe à gros flocons en sachant pertinemment que c’est peut-être la dernière de la saison.  Quelle félicité de retourner tout doucement vers la maison à 18h00 et des poussières encore à la lumière du jour avec deux nouveaux gallon de sirop d’érable, la peau du visage bronzée et les doigts collés.

          C’est ma cinquième saison.  Celle de la fin et du début.  Celle du chaud et du froid.  Celle de l’espoir et de la renaissance.  Celle de mon père.  Celle de la famille et des amis.

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