Il était une fois, un petit
village de quelques milliers d’habitants.
Dans ce joli petit village de campagne, situé à environ une heure du
grand centre urbain le plus proche, il y avait une petite épicerie locale tenue
par Mr. Henri, troisième du nom, qui succédait à son père, qui avait lui-même
succédé à son père avant lui. Mr. Henri
connaissait presque tous ses clients par leur prénom. Il savait quels produits se vendraient bien
dans son épicerie et quels produits seraient plus difficiles à écouler. Mr. Henri commanditait souvent des événements
locaux, il était très impliqué dans sa communauté. Il créait des emplois stables dans son
village et beaucoup d’adolescents avaient faits leurs premiers pas dans le
monde du travail dans son épicerie. Il y
vendait des produits locaux autant que possible pour encourager les
agriculteurs de la région. Si les
villageois désiraient un nouveau produit, ils pouvaient en discuter avec Mr.
Henri qui pouvait adapter son offre en fonction des demandes de ses clients.
Mais
un beau jour, Mr. Henri, en écoutant les nouvelles du soir après une bonne
journée de travail, apprit que le ministère de l’Alimentation venait d’adopter
une nouvelle loi imposant la fusion de toutes les épiceries d’une même région
avec un conseil d’administration unique et ce, dans le but de pouvoir offrir
partout les mêmes produits et de permettre une plus grande accessibilité aux
dits produits à tous les habitants d’une même région.
Mr. Henri perdit son titre de propriétaire et devint simple
gérant de succursale. Ce n’était plus
l’épicerie Chez Henri, c’était
maintenant Supermarché Québec.
Un beau lundi, Mme Simon ne trouva plus sa sorte de tisane
habituelle sur les tablettes de l’épicerie.
Elle demanda au commis, qui était un très vieil employé de Mr. Henri et
qui avait souvent réponse à ses questions, où était passée sa sorte de
tisane. Le commis lui répondit que
plusieurs produits avaient changés, mais qu’il ne savait pas trop pourquoi,
qu’il fallait s’adresser directement à Mr. Henri. Mr. Henri lui dit que cette sorte de tisane
n’était pas très populaire dans le grand centre urbain donc qu’il n’était plus
rentable pour Supermarché Québec de s’en procurer pour la région. Mme Simon demanda alors où elle pouvait se
procurer cette tisane, Mr Henri répondit qu’il ne savait pas.
Le mardi suivant, lorsque Mr. Beaudouin se rendit à
l’épicerie, il fut surpris de découvrir qu’il n’y avait plus de tomates de la Ferme du Ruisseau, la petite ferme au
toit bleu à la sortie du village. Mr.
Henri tenta de lui expliquer qu’il en coûtait moins cher à Supermarché Québec
de s’approvisionner en tomates à un seul
endroit et que c’était la Ferme du Grand
Chêne à 200 km d’ici qui avait été choisie.
Le mercredi, Mr. Bouchard s’étonna, qu’il ne restait plus
de pain sur les étalages. Selon Mr. Henri, c’est que la moyenne des gens de la
région mangeait moins de pain que les habitants du village. Il fallait faire des représentations auprès
de Supermarché Québec pour justifier des besoins supérieurs en pain. Les procédures étaient en cours, mais la
personne responsable de l’analyse du dossier changeait tellement souvent que
cela ralentissait considérablement la démarche.
Le jeudi, Mme Binette remarqua en se garant dans le
stationnement de l’épicerie qu’il y avait un nouvel abri pour ranger les
paniers d’épicerie à l’extérieur.
Lorsque vint le temps de payer sa commande, aucun emballeur ne vint
l’aider. Elle s’en étonna à la
caissière, mais celle-ci lui répondit qu’elle n’était au courant de rien et
qu’il fallait s’adresser directement à Mr. Henri. Celui-ci lui expliqua que Supermarché Québec
trouvait plus rentable de permettre aux clients de sortir leur panier
d’épicerie à l’extérieur plutôt que de payer des emballeurs. De toute façon, plusieurs épiceries de la
région n’avaient plus recours à ces services depuis longtemps. Oui mais, objecta Mme Binette, notre village
est l’endroit de la région où il y a le plus de personnes âgées et celles-ci apprécient
grandement ce service. Il fallait
harmoniser l’offre de services répondit Mr. Henri. Il fallait voir le bon côté
des choses, nous avions maintenant des sushis dans nos comptoirs.
Le vendredi, Mr. Drouin ne reconnut ni la caissière ni le
commis dans les allées de l’épicerie.
C’étaient des employés venant d’une autre épicerie qui faisaient un
remplacement. Ils n’avaient visiblement
pas le goût d’être là. Ils ne souriaient
pas, ils n’avaient aucune idée d’où se trouvaient les produits et on les
entendait souvent se plaindre que c’était loin et ennuyant de travailler ici.
Le samedi, Mme Blanchette voulut réserver certaines pièces
de viande comme à son habitude pour son souper de famille du dimanche. Le boucher lui donna un formulaire à
remplir. Il fallait l’acheminer au
centre administratif et compter quelques semaines avant que la demande ne soit
traitée. On communiquerait alors avec
elle par courriel pour lui dire quand venir chercher ses pièces de viande à la
boucherie centrale à 45 km de chez elle.
Mme Blanchette n’avait pas de courriel.
Elle n’avait pas de voiture non plus.
Inutile de préciser que le transport en commun ne desservait pas leur
petit village.
Le dimanche, Mr. Henri dû apprendre à ses cinq employés que
deux postes seraient coupés. Il dû
ensuite tenter de rassurer les trois employés restants en leur faisant croire
qu’ils n’auraient pas à accomplir à trois le travail de cinq et il dû tenter de
les convaincre, comme les grands patrons le lui avaient dit, qu’on
réorganiserait leur travail et que tout irait bien.
Le mois suivant, on annonça à Mr. Henri que ses services
n’étaient plus requis. Tout serait dorénavant gérer à partir du centre
administratif urbain.
Les trois loyaux employés continuèrent de faire rouler à
eux seuls l’épicerie et ils travaillèrent d’arrache-pied pour offrir toujours
un service de qualité à leurs clients, mais ils manquaient de temps et de
soutien, surtout lorsqu’on leur imposa des heures d’ouverture obligatoires. Ils devaient également dorénavant se rendre
régulièrement dans l’épicerie du village voisin pour dépanner, car cette
épicerie avait perdu plusieurs de ses employés.
Ils tentèrent à maintes reprises de joindre leur nouveau responsable
ayant pignon sur rue à 80 km de là, mais celui-ci était difficilement
joignable, ayant plusieurs épiceries sous sa responsabilité. Et, lorsque les employés parvenaient à lui
parler, il confondait souvent leur épicerie avec celle du village voisin.
Le mois suivant, les trois employés, exténués et surmenés,
démissionnèrnt. Supermarché Québec
afficha les nouveaux postes disponibles dans l’ancienne épicerie de Mr.
Henri. Il s’étonna d’avoir de la
difficulté à les combler.
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