jeudi 6 décembre 2018

Solitude





Pourquoi est-ce que je pense à la solitude en ce moment ? Pourquoi ce sentiment commence à m’habiter là, maintenant, furtivement, avant de repartir ?  Probablement parce que les fêtes approchent et que je me dis qu’il n’y a rien de pire au monde que d’être seul la veille de Noël, bien que je sois persuadée qu’il vaille mieux être seul que mal accompagné.
Y-a-t-il deux solitudes, la bonne et la mauvaise ? Je ne sais pas, probablement.  La bonne étant celle qu’on apprécie, la mauvaise étant celle qui nous fait souffrir.
Pour ma part, les deux ont toujours cohabitées en moi, l’une prenant parfois le dessus sur l’autre.
Les moments où je suis seule sont pour l’instant précieux, mais je suis à une étape de ma vie où je suis constamment entourée : un conjoint de fait, deux enfants encore jeunes, une carrière qui bat son plein.  Alors, quand mes vendredis de congé se pointent le bout du nez et qu’il n’y a pas de journée pédagogique en vue, je respire le bonheur.  Je savoure chaque heure, chaque minute de cette journée en tête-à-tête avec moi-même.  J’aime ne pas avoir à parler à personne (je ne réponds bien évidemment pas au téléphone lors de cette journée, le texto, tout au plus), j’aime ne pas avoir à donner des consignes (et à les répéter), ne pas avoir à m’expliquer, ne pas avoir à informer d’où je suis, ne pas avoir à discuter de sujets sérieux, ne pas avoir à répondre à des questions (allant de Maman où sont mes mitaines ? à À quoi tu penses, chérie ? ou Qu’est-ce qu’on mange pour souper ?).  J’aime avoir la tête tranquille pour penser et rêvasser sans jamais être interrompue.  J’aime le calme de la solitude, l’apaisement du silence.  J’aime être la seule à déplacer des objets dans ma maison.  J’aime ne pas avoir à faire de compromis.  J’aime savoir qu’il n’y a aucun regard qui se pose sur moi et la liberté que cela me procure.
Souvent, pendant une fête ou un grand rassemblement, je deviens étourdie d’avoir plein de monde autour de moi.  L’instant où je me retrouve seule au cabinet en devient alors un de grand bonheur.  Je m’assois, je fais ce que j’ai à faire et je relaxe.  Je reste assise là, sur le bol, à regarder autour de moi, à reprendre mon souffle.  J’en profite également pour me gratter à des endroits pas toujours élégants, pour desserrer mon soutien-gorge, pour enlever mes souliers, pour me ronger un ongle ou deux.  Je fais les cent pas dans la salle de bain, je feuillette une revue s’il y en a, je me lave les mains deux fois plutôt qu’une.  Je me ressource un pipi à la fois.  Pendant ce court moment, je n’ai plus à chercher quoi dire, quoi faire, vers qui me tourner, je n’ai plus à me questionner à savoir si j’en ai dit trop ou pas assez.
Mais la solitude n’a pas toujours été que du bonheur pour moi, elle a aussi été souffrance.  À plusieurs moments dans ma vie, je me suis sentie bien seule, et ce, dès l’enfance.  Je me suis souvent sentie différente des autres.  Je m’habillais bizarre, je me parlais toute seule, j’habitais sur une ferme avec des vaches et des mouches.  Mes parents n’étaient pas comme les autres.  D’abord, ils n’étaient pas mariés.  Ensuite, mon père avait des projets pour le moins singuliers (acheter un incubateur pour élever des dindons sauvages) et ma mère pouvait parler de sexualité de façon tout-à-fait décomplexée avec mes amies.  À l’adolescence, j’avais l’impression d’évoluer plus lentement que les autres ce qui créait un immense faussé entre moi et eux.  N’y a-t-il pas plus grande solitude que de se sentir seule parmi les autres ?  Je n’arrivais pas à me trouver un groupe d’appartenance (si au moins j’avais eu une quelconque aptitude sportive j’aurais pu faire partie d’une équipe…).  J’en ai eu des vendredis soirs tristes.
Mais revenons à Noël.  Je sais qu’un jour, proche ou lointain, cela va se produire, je le sais qu’un certain 24 décembre 2000 quelque chose, je serai seule. Quel genre de solitude ce sera ? Apaisante ? Angoissante ?
Mon père nous a dit cette phrase à ma sœur et moi avant de mourir : « Les filles, ne vieillissez pas seules ».  Et je ne peux m’empêcher de penser que personne n’est à l’abri de cela, quoi que l’on fasse.   

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