Je me liquéfie
tranquillement. Comme l’a dit un des
visiteurs pour notre maison : « Ça s’peut ça, une maison pas d’air
climatisé en 2018 ? ». Ben oui, ça s’peut.
On a une piscine et trois ventilateurs, mais on n’a pas d’air climatisé.
Je me
suis levée à 8h30 ce matin, pas parce que mes enfants faisaient du bruit ou
qu’ils avaient besoin d’une assistance quelconque, pas parce que j’avais
quelque chose d’urgent à faire, mais bien parce qu’il faisait tout simplement
trop chaud pour dormir. Je n’avais même
pas fini mon premier café que je dû aller me rafraîchir dans la piscine. Le temps était lourd, opaque, suffocant. À ma sortie de la piscine, je n’avais pas
fait deux pas que j’avais déjà chaud, je ne me suis même pas essuyée, la seule
idée d’une serviette sur ma peau m’était insupportable. J’ai ensuite décidé d’aller
enfiler une vieille robe laide qui ne m’allait pas très bien, mais qui avait
l’avantage d’être très aérée. Mes cheveux ont passé la journée attachés en
un gros moton mouillé, pas question
de les sentir me chatouiller la nuque.
J’avance
péniblement dans la maison comme si je pesais soudainement le double de mon
poids. Mes pieds collent sur le
plancher. Je sens comme un bourdonnement
autour de ma tête. Un bourdonnement de
chaleur qui anéantit une à une toutes mes facultés intellectuelles. Je n’arrive plus à penser ni à
réfléchir. Je mange un bol de céréale et
décide d’aller à l’épicerie : soixante minutes de climatisation, soixante
minutes de pur bonheur. Avant de partir,
mon chum me dit que je ne peux pas sortir avec cette robe-là, je lui réponds
que je m’en fout complètement. Je n’ai
plus d’orgueil, il a fondu avec tout le reste.
Je
voudrais vivre dans un camp de nudiste.
Il faut que je me baigne aux 90 minutes pour maintenir ma température
corporelle à un niveau acceptable. Je me
baigne tellement au cours de la journée que le chlore finit par me piquer les
yeux et je me mets à me gratter partout, comme quand j’étais petite et que je
passais tout un après-midi dans la piscine.
Et même dans la piscine, je cherche l’ombre. À la troisième baignade, je dis aux enfants
que ce sera une baignade tranquille et j’interdis tout contact physique avec
mon moi-même, je ne supporte plus rien.
Je me couche ensuite sur le sofa et je niaise sur Facebook. J’ai des bouffées
de chaleur. 15 000 $, ce n’était pas si cher au fond pour faire installer
l’air climatisé central. Pour les
enfants, c’est écran à volonté, T.V.,
ordinateur, name it, tout est permis et à n’importe quelle heure, je n’ai
plus la force d’encadrer quoique ce soit. Quand mon chum me pose une question,
je grogne. Je suis collante. Je suis léthargique. Et là, je me mets à me sentir coupable de mon
état d’affaissement, tsé, je pourrais être dans un petit appartement au
centre-ville pas de ventilateur, avoir 108 ans, une maladie chronique et pas de
famille pour penser à moi. J’ai une
maison en campagne, une piscine et trois ventilateurs, un luxe quoi. Et je n’allaite pas. Je pourrais allaiter en pleine canicule, j’ai
déjà fait ça. OK, faut que je me
ressaisisse. On pourrait être en
janvier, il pourrait faire – 30°C. On pourrait être en novembre, il ferait déjà
noir. Je décide de descendre au sous-sol
pour partir une brassée. Quel bonheur de
faire de la lessive dans cet endroit frais ! Jamais tâche ménagère ne m’a semblé
si agréable ! Mais une fois ma brassée
terminée, je dois subir ce que j’ai baptisé le supplice de l’escalier. À chaque pas, dans cet escalier qui mène du
sous-sol au premier étage, l’air chaud pénètre un peu plus mes narines, je sens
la chaleur au-dessus de ma tête puis sur mes épaules et ensuite sur mon corps
en entier jusqu’à la plante de mes pieds.
J’ai l’impression que je ne parviendrais pas au sommet, que je vais m’évanouir
avant d’être rendue. Et là, je me dis
que, franchement, je ne suis pas très endurante à la chaleur et que je ne suis
pas un très bon modèle pour mes enfants.
Je me
rappelle, il y a quelques années, nous sommes allés à Cap Hatteras pour nos
vacances d’été. En chemin, nous sommes
arrêtés à Washington D.C., nous voulions visiter un certain nombre de
monuments, dont le Abraham Lincoln
Memorial. C’était une belle journée
chaude et poisseuse comme aujourd’hui.
Allez savoir pourquoi, mais nous nous sommes retrouvés à marcher en
direction d’Abraham à midi tapant sous un soleil de plomb avec un maximum de
touristes au pied carré. Je me tenais
loin du chemin principal, avec mon amie, à marcher de spot d’ombre en spot
d’ombre. J’ai pensé ne jamais être capable
de gravir la totalité des marches jusqu’au monument. Arrivée en haut, je n’ai même pas regardé
Abraham, je n’ai même pas pris de photo, je suis allée m’asseoir par terre dans
le seul petit coin d’ombre qu’il y avait et j’ai fermé les yeux en attendant la
mort. Mes amies et mon chum me
cherchaient, ils m’appelaient, je n’avais même pas la force de leur
répondre. J’ai attendu qu’ils me
trouvent. Mon amie m’a finalement
traînée dans la boutique souvenirs bondée, mais climatisée. Je n’ai jamais choisi avec tant de zèle mes
aimants pour le frigo ! Depuis ce temps,
toute journée chaude et humide est appelée chez-nous une journée Abraham.
Alors,
pour le souper de cette journée Abraham, mon chum me propose de s’occuper de
faire cuire les pâtes pendant que je m’occupe de couper les légumes. Il ajoute :
- Je
fais la tâche la plus poisseuse pour ne pas t’entendre chialer. J’espère être récompensé.
Le petit comique. J’aimerais lui répondre, mais je n’en ai plus
la force. Je n’ai même plus la force
d’écrire.
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