Je ne
devrais même pas me poser la question pis juste y aller. D’un côté, il y a une grande surface qui vend
en grande quantité plein de trucs à des prix plus que compétitifs. De l’autre, il y a moi avec une famille et un
revenu moyen. Il me semble que c’est le
match parfait. En plus, c’est un magasin
grande surface socialement acceptable, qui paye bien ses employés et qui leur
fournit une assurance santé. Donc, en plus, je n’ai même pas besoin d’y aller
en cachette et de le taire à mes amis un peu bobo. Même les écolos et les adeptes de la
simplicité volontaire vont au Costco.
Alors, pourquoi pas moi ?
Je n’y
arrive pas. Pourtant, j’ai essayé. Déjà, dans le stationnement, la pression
monte. Il n’y a plus place, il y a des
autos, des paniers et du monde qui sortent de partout, j’ai toujours
l’impression que je vais me faire rentrer dedans et/ou que je vais écraser
quelqu’un. Mais qu’à cela ne tienne, je
m’en vais économiser, cela vaut bien quelques petits désagréments, que je me
dis. Alors, me voilà, aux commandes de
mon gigantesque panier, le sourire accroché au visage, prête à accueillir mes
deux pots de beurre d’arachides de 1 kg, mes 18 paquets de gommes et mes 22
barres de savon.
Première
petite embûche : un gentil monsieur tout souriant veut voir ma carte de
membre. Ah zut ! Je l’ai mis où
celle-là. Dans mon portefeuille,
j’espère. Je fouille frénétiquement
dedans, mais je ne la trouve pas. Elle
doit être collée sur une autre carte. Je
vais être obligée de les sortir une à une.
Je commence à avoir chaud. J’ai
le sourire qui vacille. Je regarde le
petit monsieur ; il attend patiemment avec un sourire bienveillant. OK, je me calme, je trouve la carte. Hourra ! Je peux entamer ma chasse aux
aubaines. Mon sourire revient, quoique
légèrement plus incertain cette fois.
Maintenant,
c’est parti pour de vrai. Oh, les grosses télévisions ! Je n’ai pas besoin d’un nouveau téléviseur,
mais je ralentis quand même, juste pour voir.
Après, c’est les ordinateurs portables, tient ça fait longtemps que j’en
veux un, je vais juste jeter un petit coup d’œil. Après dix minutes, je me ressaisie, je ne
suis pas ici pour acheter un ordinateur, comme le prouve mon énorme panier, je
suis ici pour acheter du quotidien, du manger, de la pharmacie, un ou deux
morceaux de vêtements pour les enfants, that’s
it.
J’ai
vraiment chaud, mais je souris toujours, pas un grand sourire, mais un sourire
quand même. Direction pharmacie. J’ai maintenant assez de tubes de dentifrice
pour un an, si ça ne devrait pas me rendre heureuse ça. Ne pas avoir à arrêter
en catastrophe à la pharmacie après le travail parce qu’il ne reste plus de
dentifrice. J’ai aussi du savon à
lessive et des essuie-tout pour un bon bout de temps.
Il y a
du monde partout. Je me sens harcelée
par les autres paniers d’épicerie. On
s’impatiente derrière moi, on tente de me contourner, on me frôle, on
m’accroche, plein de paniers me touchent sans mon consentement. On me dépasse par la droite, on me coupe, je
n’ai définitivement plus d’espace personnel, ma bulle crève de partout. Je suis peut-être agoraphobe, au fond (ou panierophobe). Je ne comprends pas les
codes de la circulation avec gros paniers, je peine à trouver ma voie, je suis
très malhabile pour le zigzagage dans
les allées et j’ai fucking chaud. Et c’est seulement à ce moment que je pense à
enlever mon manteau d’hiver et à le foutre dans mon panier, ce n’est pas comme
s’il manquait de place.
J’arrive
dans la section des vêtements avec le sourire de la chasseuse d’aubaines
passablement flétri. Mais je trouve
chaussure à mon pied ; du linge pour mes enfants, et pour moi. C’est mon moment de grâce. C’est fou comme un pantalon de yoga et deux
ou trois camisoles assorties peuvent me revigorer le sourire. Je me trouve ensuite un livre. Super. J’en oublie presque les attaques de
paniers. Mais je commence à être
fatiguée. Je ne suis même pas encore
rendue à la section bouffe.
En m’y dirigeant, mon regard s’accroche un
peu partout : chaises de plage (ah oui, les miennes sont vieilles), petites
bouchées à déguster (ça sent bon, j’ai faim), des casseroles (ah oui,
pratique), disons que ce n’est pas un endroit pour quelqu’un qui a un déficit
d’attention. Je m’attarde sur un méga
paquet de batteries. Wow ! Ça serait
pratique ça, on manque toujours de batteries.
Je prends le paquet dans mes mains.
Trente dollars, j’imagine que ce n’est pas cher pour la quantité de
batteries qu’il y a. Mais là, j’hésite, est-ce qu’on utilise plus des triple A
ou des double A ? Je pense que c’est des double A, mais je ne suis pas certaine. Je pourrais peut-être prendre les deux
paquets ? C’est garanti dix ans. Humm. Soixante dollars de batteries, pas loin
de cent dollars avec les taxes. Et là,
j’ai comme un genre de blocage dans mon cerveau qui s’opère. Non, je ne vais pas dépenser autant d’argent
pour des batteries, pas tout d’un coup en-tout-cas. Le même montant, répartit sur plusieurs
années, me semble moins grotesque. Je
remets les batteries dans l’étalage.
Tant pis, je vais continuer d’enlever les batteries de la télécommande
pour les mettre dans la voiture téléguidée des enfants et vice-versa.
J’arrive
finalement à la bouffe complètement épuisée.
Je ne souris plus du tout. Je
n’ai même pas la force de me rendre jusqu’aux fruits et légumes. In extrémis, je prends un méga sac de Pretzel et une boîte de céréale géante
et je me dirige vers les caisses. J’ai
envie de pleurer, cela doit bien faire deux heures que je suis dans le magasin.
De
retour chez-moi, je dois faire une sieste pour me remettre de mes
émotions. Je m’endors en regardant du
coin de l’œil ma boîte de céréale et mon sac de Pretzel restés sur le comptoir, mon garde-manger étant beaucoup
trop petit pour pouvoir les contenir.
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