vendredi 6 juin 2025

Les joies de la banquette arrière

 

Dans ma jeunesse, dès lors que mes parents ont autorisé mon passage de la banquette arrière à la banquette avant, dans la voiture familiale, ma vie a changé. Je n’étais plus petite. Je pouvais être devant, à égalité avec mes parents. J’avais maintenant droit au pare-brise, d’où je pouvais fixer l’horizon, admirer le paysage, contempler la route filant à perte de vue. Cela contrastait avec la banquette arrière, où les derrières de tête de mes parents constituaient mon seul panorama.  Je ne savais pas, hélas, à cette époque, que la banquette avant constituait une avancée vers l’âge adulte et les responsabilités.

À l’heure où j’écris ces lignes, j’en ai passé des années sur la banquette avant, des années à piloter ou à co-piloter, à prendre en charge, à décider, à organiser. De cette tour de commandement, j’en ai géré des collations, des déchets, des arrêts pipis, des chicanes, des jeux débiles pour passer le temps.

Mais récemment, j’ai opéré un retour vers la banquette arrière. À 45 ans, me voilà assise à l’arrière de ma propre voiture avec mon benjamin, alors que mon aîné conduit guidé par les sages conseils de son paternel. La détente totale ! Comme si le fait d’être reléguée au second rang évacuait du même coup une partie de ma charge mentale. Je suis confortablement assise sur mon siège, ma tête reposant mollement sur le dossier, les yeux mi-clos, la respiration calme, le sourire souverain. Je ne suis plus responsable de rien ; j’ai 14 ans et je suis dans le moment présent. Carpe Diem. Namasté. Inch allah. Non seulement je ne peux interférer d’aucune façon avec la conduite de mon aîné, mais mon chum n’est pas non plus en mesure de me mitrailler de ses questions sérieuses et ennuyantes, très efficaces pour me déclencher une migraine. Encore mieux : personne ne me parle. Mon plus jeune a ses écouteurs visser aux oreilles, mon plus vieux surveille la route et mon chum surveille mon plus vieux. Personne ne se soucis de moi et personne ne me demande rien. Un rêve.

J’ai tellement aimé mon expérience de banquette arrière que, quelques jours plus trad, alors que je me dirige vers la voiture avec mon chum et mon plus jeune, celui-ci me demande s’il peut s’assoir devant et je m’entends répondre : « Mais, bien sûr, mon grand ! ». Cette fois, non seulement je suis assise à l’arrière, mais j’y suis seule !  Je m’étire les jambes. J’ouvre ma fenêtre. Je sors ma main et teste la résistance de l’air comme lorsque j’avais huit ans. J’entends des bruits indistincts de conversations à l’avant, je ne peux deviner de quoi ils parlent et cela me réjouis, car c’est sûrement sans importance. Je me laisse conduire et laisse le poids du monde aux autres.

Ce qui m’inspire cette petite philosophie à cinq cennes : je devrais me mettre plus souvent en mode banquette arrière. Tsé, le fameux lâcher prise. Laisser les autres décider, pour une fois, suivre la vague, être dans le moment présent, se permettre d’avoir 14 ans, les boutons d’acné en moins et les taches de vieillesse en plus.

 

dimanche 24 janvier 2021

Vie de famille : les p'tits matins

 



Beep ! Beep ! Beep !

Moi : Chéri, il est 6 heures, faut se lever…

Papa : Oui, oui…

Beep ! Beep ! Beep !

Moi : Chéri, il est 6h10, faut se lever…

Papa : On boy, oui, oui…

Moi : Ok.  Ouvre la lumière, ça va nous aider.

Papa : Ok. Oh boy.

Beep ! Beep ! Beep !

Moi : Chéri, il est 6h20, là faut vraiment se lever, ça pas d’allure.

Papa : Ben oui, j’me lève. Fait dont ben noir. Toi, tu t’lèves pas ?

Moi : J’pense à comment j’vais m’habiller.

Papa : Les yeux fermés ?

Moi : Ben oui. Je visualise.

 Beep ! Beep ! Beep !

Papa : Pas 6h30 ?!?!? Ferme-lui dont la trappe à lui.  OK. Je descends faire les lunchs.  Réveille les gars.

Moi : Les gars, c’est le matin.  DEBOUT !!!

Fils cadet : Je suis debout !

Fils aîné : Humm. Aaaahh. NOOOOON !!!

On finit par tous se lever et se retrouver au rez-de-chaussée avec une bonne odeur de poisson réchauffé au micro-ondes à mettre dans les Thermos.

Papa : Fils aîné, une clémentine ou une pomme dans ton lunch ?

Fils aîné : …

Papa : Fils aîné, une réponse ?!

Moi : Met n’importe laquelle.

Papa : Non, mais ça s’peut pas, j’ai posé une question !

Fils aîné : Hein, quoi ? Quelle question ? J’ai pas entendu…Mais, papa, oublies pas d’me mettre une clémentine dans mon lunch.

Papa : C’est l’fun, j’me sens vraiment écouté.

Fils aîné : Ah NOOON ! Fils cadet a pris le dernier bagel ! Il reste plus rien à manger !

Moi : Il y a des muffins, des toasts pis des céréales.

Fils aîné : NOON ! Il reste plus rien que j’aime ! j’peux pas manger !!!

Moi : Ben mange pas.

Fils cadet : Mes mitaines sont toutes mouillées !

Papa : Maman, tu les a pas mises à sécher hier ?!?!

Moi : Ben là, j’ai pas juste ça à penser.  À leur âge, ils devraient être capables gérer leurs mitaines.

Fils cadet : Il me faut d’autres mitaines !

Je vide le coffre de vêtements d’hiver en entier.  Je trouve d’autres mitaines.

Moi : OK. Fils aîné, on part. T’a tout ce qu’il te faut ? Où est ton masque ?...Oh non, il a neigé cette nuit,  faut que je déneige l’auto !

Fils aîné : On a pas le temps ! On va manquer l’autobus !

Moi : D’la marde, y’en a pas beaucoup, j’vais juste partir les essuie-glaces !

Papa : Non, non, non ! C’est pas sécuritaire et, surtout, tu vas briser tes essuie-glaces !

Je sors de la maison comme si je n’avais rien entendu.  Je pars avec Fils aîné pour aller le reconduire à l’arrêt d’autobus au village, tandis que Fils cadet se prépare pour prendre son autobus au bout de l’entrée.

Fils aîné monte dans l’autobus. Ouf !  Il est 7h03. Je prends une grande respiration et je fouille dans ma sacoche.  Je trouve mes Advil.  J’en prend une avec une bonne gorgée de café.  Froid. J’ai oublié de le réchauffer avant de partir. 

 

vendredi 20 novembre 2020

Une boule pour Noël

 


Mi-novembre.  Il me semble qu’on est dû pour une petite sortie en famille.  Depuis l’été, on n’est pas vraiment sorti.  Mais là, pandémie oblige, tout ce qu’il y a d’ouvert, c’est les centres d’achats.  Qu’à cela ne tienne, je viens de trouver l’activité familiale parfaite en ce dimanche pluvieux.  Mon chum ne pourra pas me gosser avec le bois de chauffage à rentrer, on a fini ça la fin de semaine passée (bon, quand je dis « on », j’exclue quand même un peu la personne qui parle, ben pour les derniers voyages, mettons).  Donc, les centres d’achats, je disais.  Je décide de jeter mon dévolu sur les suédois ; cap sur Ikea. Je vérifie sur les internet : c’est ouvert et, non seulement ça, mais le r-e-s-t-a-u-r-a-n-t est également ouvert.  Voilà comment je vais convaincre mon chum : par le ventre. Difficile de résister aux boulettes suédoises et aux mashed potatoes. 

            Mais je vois bien l’air dubitatif de ma tendre moitié suite à ma proposition, et ce, malgré la légère hypersalivation occasionnée par la mention de la boulette. Et de quoi a-t-on besoin déjà au Ikea ? Bon là, j’avoue que tout ce que j’ai trouvé c’est : de paniers à linge sale pour la chambre des enfants. Il continue donc de m’embêter avec ses questions dans le genre : est-ce que c’est vraiment urgent ? Euh…oui. Pis on a aussi besoin d’un porte-savon pour la salle de bain d’en bas. Pis d’une housse de couette pour fils aîné. Il n’en a pas déjà une ? Raba joie. Je souligne qu’il a déjà une housse de couette d’enfant, mais que là c’est rendu un ado donc il a besoin d’une housse de couette d’ado.  Pis on a aussi besoin d’un égouttoir à vaisselle parce que notre vieux qui remonte au temps où mon partenaire de vie était étudiant et qui tient avec des tie wrap, c’est aujourd’hui que ça s’arrête.  Je suis en feu, je ne cesse de me trouver des besoins. 

            On finit par partir.  Je laisse mon chum conduire ma nouvelle voiture, question de le mettre dans de bonnes dispositions.  Il s’agit en plus d’un voyage exotique, car par ici le Ikea le plus proche est à Ottawa, dans une autre province, de l’autre côté de la rivière, là où ça parle anglais.  Traverser un pont et parler une langue étrangère, à l’ère de la Covid-19, ce n’est pas rien.

            Et la magie suédoise opère : la journée se passe à merveille.  Même mon chum est content.  J’ai trouvé mes deux paniers à linge sale et mon porte-savon.  Mon chum a flanché pour une planche à découper et deux ou trois ustensiles de cuisine.  Un toutou pour mon plus jeune et un coussin avec une face de lion pour mon plus vieux et l’affaire est Ketchup. Mais le summum, le top du top, c’est la petite boutique de Noël en fin de parcours. Et c’est là que je la vois.  Une boule à neige de Noël. J’ai un genre d’élan de joie suprême.  Je n’ai jamais acheté ça de ma vie moi, une boule à neige, mais c’est comme si, tout d’un coup, c’est ça que ça me prenait ; pour un Noël en confinement, je ne vois pas meilleur accessoire.  Rester chez-soi et se shaker la boule pour y contempler la neige tomber d’un air nostalgique, en pensant aux temps d’avant.  Métaphore de notre vie de confiné ; chacun dans sa bulle, chacun sous sa propre cloche de verre, à revivre des journées toutes plus semblables les unes que les autres.

            En plus, mon fils cadet capote sur ma boule à neige, il me dit qu’il est juste trop content que j’aie acheté une telle merveille et mon fils aîné s’est empressé de lui trouver un endroit pour la mettre en valeur.

            Décidément, pour ma part, Noël 2020, ce sera le Noël de la boule à neige.

 

jeudi 5 novembre 2020

Vie de famille : les jeux de société

 


Ce soir, place au temps de qualité en famille.  Ce soir, on ne se contente pas du banal temps de quantité qui est à la portée de tous.  Oh que non ! Pas d’enfants devant Télétoon, pas de maman qui pitonne sur son cellulaire, pas de papa qui ronfle sur le sofa. Ce soir, on s’amuse ENSEMBLE, on resserre nos liens familiaux.

Moi : OK gang, à quel jeu voulez-vous jouer ce soir ?

Fils aîné : À Blokus ! 

Fils cadet : À Trouble !

Papa : …

Fils aîné : Nooon ! Pas Trouble !

Moi : Et si on jouait au nouveau jeu que j’ai acheté ?

Fils aîné et cadet : Oui !!! Le nouveau jeu !!!

Papa : …

Bon. Évidemment, c’est moi qui se tape la lecture des règlements.

Moi : Bon, chacun choisit un pion.

Fils aîné : Moi je prends le bleu !

Fils cadet : Nooon ! C’est toujours toi qui prends le bleu !

Fils aîné : Ben, c’est ma couleur préférée, toi, c’est le rouge, faque prend le rouge!

Papa : …

Moi : Ben non, vous n’allez pas vous chicaner pour une couleur de pion !

Fils cadet : OK. OK. Je prends le rouge !

On commence la partie.

Fils aîné : Papa, c’est à ton tour !

Papa : Oui, oui. Qu’est-ce qu’il faut que je fasse déjà ?

Moi : Ben là, j’viens juste de l’expliquer !

Fils aîné : Ben oui, papa, franchement !

Papa : Ah oui, lancer le dé ! Il est où le dé ?

Moi : J’sais pas ! Qui a vu le dé ?

Fils aîné : C’est fils cadet qui l’a échappé par terre !

Fils cadet : Même pas vrai, c’est toi qui l’a pris en dernier !

Papa : Ben voyons, y’a pas disparu !

Moi : OK. Je l’ai.  Y’était caché par la pile de cartes.

On joue en harmonie quelques minutes.

Fils aîné : Qu’est-ce que ça veut dire déjà cette carte-là ?

Moi : Minute, je vais relire les règlements.

Fils cadet s’impatiente et se met à agacer le chat. Papa ferme les yeux et dodeline de la tête.  Fils aîné fait des bruits de bouche.

Moi : OK. Je l’ai…Allo, vous m’écoutez !?

Fils cadet : C’est nul ce jeu-là ! J’veux jouer à Trouble !

Fils aîné : Non, Trouble c’est nul !

Papa : …

Moi : OK. Avec cette carte-là, il faut que tu recules de 4 cases.

Fils aîné : Noooon ! C’est pas juste ! J’vais être le dernier !

Fils cadet s’empare du dé.

Moi : Non, attends, c’est pas ton tour, c’est le tour de papa… PAPA ?! Ça serait l’fun que tu suives un peu !

Papa : Woh ! Woh ! Calme-toi.  On a besoin de plus de calme ici.

Fils cadet s’empare du dé à nouveau.

Moi : Non, c’est le tour de papa.

Fils cadet : Ben, c’est looooong !!!!

Fils aîné : La carte de tantôt, ça comptait pas, c’est parce que j’avais pas compris, je réavance de 4 cases.

Fils cadet : Aïe ! C’est pas juste !

Moi : OK. Le jeu est fini.

 

            Les fils disparaissent en coup de vent.  Papa s’est rendormi.  Je ramasse toute seule.

            Vive le temps de quantité. Chacun devant son écran et l’harmonie familiale sera bien gardée.

 

vendredi 23 octobre 2020

Vie de famille : l'heure du souper

 


Il est 18h00.  Le souper est prêt.  La famille est réunie.   Les écrans sont fermés.  C’est notre moment de qualité. Ici, les repas en famille c’est sacré, on instaure des traditions, on se crée des souvenirs.

Moi : Les enfants, le souper est prêt !

Fils cadet :  Après ma vidéo !

Fils aîné : …

Papa : Les as-tu appelés, c’est prêt là !

Moi : Ben oui, je viens juste, t’as pas entendu ?!

Papa : Ben, on dirait pas que t’es a appelé, y’a toujours personne d’assis à table !

Moi :  Les enfants, le souper est prêt !

Fils cadet : Il reste deux minutes à ma vidéo !

Fils aîné : - …

Moi :  Non, on mange MAINTENANT !

Fils aîné : Hein ? Quoi ? Qu’est-ce que t’as dit ?

Moi :  LE SOUPER EST PRÊT !

Fils aîné : -Ok. Ok. Pas obligé de crier !

Les fils arrivent en courant. Fils cadet se verse du lait.

Fils aîné :  Vite ! Moi aussi, j’veux du lait, j’ai soif !

Fils cadet se dépêche.  Il renverse du lait.

Papa : Bon. Ramasse ton dégât et CALME-TOI !...Non, ta manche de chandail ce n’est pas une guénille !

Fils aîné : Qu’est-ce qu’on mange ?

Moi : Du poulet.

Fils cadet : Noooon ! Pas ce poulet-là ! Je l’aime pas.

Fils cadet fait la baboune.

Moi : C’est le même qu’il y a deux semaines et tu l’as tout mangé.

Fils cadet : Non ! C’est pas le même ! Celui-là c’est le poulet-crotte-de-nez et je vais pas le manger !

Moi : Ben, c’est ça, mange pas.

Fils aîné se précipite sur le Ketchup.

Fils cadet : Aïe ! Moi aussi, je veux du Ketchup !

Moi : Du calme, il y a assez de Ketchup pour tout le monde.

Papa : Bon, les garçons, racontez-nous donc votre journée.

Fils cadet : Je m’en rappelle plus.

Fils aîné : J’ai pété toute la journée !

Moi : Chéri, est-ce que tu peux me verser d’autre vin, SVP ?

On prend chacun une bonne gorgée de ce nectar calmant.

Papa : Qu’est-ce que vous avez envie de faire en fin de semaine…Aïe ! Lâche le chat et viens t’asseoir finir ton assiette !

Moi : On mange avec ses ustensiles !

Papa : Et au-dessus de son assiette ! Non, tu n’essuie pas tes doigts sur ton napperon !

Fils aîné : Ben, j’ai pas d’essuie-tout !

Moi : D’où l’idée de manger avec des ustensiles.

Papa : Qu’est-ce que tu fais encore debout ?

Fils aîné : Je m’en vais aux toilettes !

Moi : Ferme ta porte !

Moi : Lave tes mains.

Fils aîné : Ben là, j’ai juste fait un p’tit pipi…

Moi : Chéri, tu me passe-moi la bouteille de vin, SVP ?

Je me verse une bonne rasade.

Fils cadet : J’ai fini de manger !

Fils aîné : Moi aussi !

Moi et Papa :  Vos assiettes dans le lave-vaisselle !

 

Les fils disparaissent en coup de vent.  J’ai pris quatre bouchées, mon chum deux.  Il est 18h04.

 

samedi 10 octobre 2020

Bilan pandémique (à la Bridget Jones)

 


Nombre de fois où je me suis dit : c’est peut-être juste un mauvais rêve : 18.  Nombre de paquets de rouleaux de papiers de toilette entreposés : aucun.  Nombre de jours de télé-travaille pour mon chum : 210.  Nombre de jours que mon chum a passé en pyjama : 210.  Nombre de pyjama que possède mon chum : 1. Nombre de fois que je me dis que vais brûler ledit pyjama à la fin de la pandémie : tout le temps.  Nombre d’enfant : 2.  Nombre d’enfant au primaire : 1.  Nombre d’enfant au secondaire : 1.  Nombre d’autobus manqué pour cause d’oubli de masque : 1.  Nombre de thermos disponible en magasin : - 304. Nombre de billet de comportement reçu de l’école pour cause d’aspergeage d’un camarade de classe avec Purell : 1.  Nombre de fois où j’ai pensé : faudrait pas que les écoles de mes enfants ferment : 45.  Nombre d’école de mes enfants fermée : 1.  Nombre d’ado inquiet que l’on voit passé l’un de ses parents à l’écran pendant ses cours par Teams : 1.  Nombre de fois où j’ai arrêté de respirer dans un lieu public en me disant : shit, j’ai pas mon masque : 2.  Nombre de fois où je me suis cachée la face avec mon chandail pour retourner à l’auto chercher mon masque : 2.  Nombre de fois où j’ai regardé des amis qui voulaient me serrer la main comme s’ils étaient des malades mentaux : des fois.  Nombre de fois où je me suis dit : tout d’un coup que je ne touche plus jamais à personne à part mon chum en pyjama pis mes enfants ? : 100. Nombre de pain fait maison : 0.  Nombre de caissière du Tim Horton que j’ai entendue dire en panique : on va tous finir par la pogner ! : 1.  Nombre de lieu public fréquenté ayant un désinfectant ben trop liquide : 7.  Nombre de lieu public fréquenté ayant un désinfectant ben trop puant : 9.  Nombre de lieux public fréquenté ayant un désinfectant ben trop fort qui décape : 3.  Nombre de fois où j’ai transgressé les règles sanitaires : …quelques mini-fois.  Nombre de fois où je suis contente de ne pas rester en ville : toujours.  Nombre d’achat impulsif fait en ligne sous l’influence de l’alcool : 2.  Nombre d’achat impulsif fait en ligne sous l’influence de l’alcool qui a été livré : 1.  Nombre d’argent supplémentaire dépensé en boisson alcoolisé : ça ne se dit pas.  Nombre de test de dépistage effectué pour un enfant fiévreux : 1.  Nombre d’enfant infecté : 0.  Nombre de fois où j’ai utilisé la pensée magique pour m’apaiser tout en sachant qu’il s’agit d’un comportement immature : 27.  Nombre de fois où j’ai réussi à suivre les flèches sans me tromper au magasin : 4.  Nombre de fois où je me demande si cette pandémie va durer éternellement : trop souvent.

 

 

dimanche 6 septembre 2020

Dans la cour des grands

 


Je pensais que l’entrée à la maternelle serait ze événement. L’événement le plus marquant pour mon enfant et moi parmi tous les événements qui jalonneraient son parcours jusqu’à l`âge adulte. La transition des transitions.   Les balbutiements de la vraie autonomie et le début des apprentissages avec un grand A.  Son premier sac d’école, ses premiers crayons de couleurs, identifiés chacun individuellement avec amour, son premier duo-tang rouge à pochettes.  Tel devait être le moment le plus émouvant et bouleversant dans ma vie de mère.  Mais non. Un autre est venu lui rafler la vedette, le pousser dans un coin, remuant encore plus d’émotions sur son passage : l’entrée au secondaire.

            L’arrivée dans le monde des responsabilités et des tâches sérieuses.  L’abandon graduel de l’univers ludique et récréatif.  Le premier constat de mon ado : « Maman ! Il n’y a pas de jeux dans la cour d’école ! Tout ce qu’on peut faire c’est marcher et discuter ! ».  Le prof d’anglais parle juste en anglais, le prof de sciences parle trop vite, la prof d’art peut parler une heure sans s’arrêter.

Mon fils a également fait la rencontre de l’angoissant cadenas à numéro.  Après sa première journée d’école, il est ressorti de son lit à vingt-deux heures en me disant qu’il voulait encore se pratiquer à ouvrir son cadenas.  Ma gorge se noua à ce moment-là ; je fis un bond en arrière de trente ans et me rappelai ma propre angoisse cadenassée au même âge.  En fait, je ne me contentai pas de m’en rappeler, je la revécus, comme si j’y étais, je sentis presque le curseur du cadenas sous mes doigts exécuter des tours et des demi-tours de 24 à 11 à 43.  Mon fils m’avoua aussi sa peur, à chaque soir en quittant l’école, d’oublier quelque chose d’important. Je me remémorai alors mes propres tourments d’étudiante : les cauchemars récurrents d’être passée tout droit le matin d’un examen, la crainte de pénétrer dans la mauvaise salle de classe, l’appréhension face à tous les travaux à remettre en même temps. Toutes ces émotions revinrent me visiter, comme si elles ne m’avaient jamais quittée.

 Le secondaire, c’est aussi la fin du confort des pantalons de jogging portés à l’année.  Dorénavant, tu dois les trimbaler dans un sac à part. Et ne pas oublier ledit sac. Où va-t-on se changer ?  Comment cela va-t-il fonctionner ? Est-ce que je dois amener mon déodorisant ?

Et le temps qui s’accélère.  Les récréations qui n’existent plus vraiment. Les cours qui s’enchaînent.  Le début des préoccupations.  Mon garçon, du haut de ses douze ans, qui doit maintenant affronter la vie et répondre aux attentes.  La perte de cette pureté d’âme et spontanéité de l’enfance.  Le début d’une vie où l’on devient hyper conscient de tout : de soi, des autres, des normes, des possibilités, des contraintes.  Un monde où l’avenir commence à exister.  Un monde où le moment présent s’effrite de plus en plus. Après sa première semaine de cours, mon ado s’exclamera : « J’aimerais ça être encore insouciant comme mon petit frère ! » et de dire aussi « C’est la plus grande épreuve de toute ma vie ».

La fin de l’innocence.

Voilà pourquoi, je crois, cette rentrée au secondaire me bouleverse tant.