Dans ma
jeunesse, dès lors que mes parents ont autorisé mon passage de la banquette
arrière à la banquette avant, dans la voiture familiale, ma vie a changé. Je n’étais
plus petite. Je pouvais être devant, à égalité avec mes parents. J’avais
maintenant droit au pare-brise, d’où je pouvais fixer l’horizon, admirer le
paysage, contempler la route filant à perte de vue. Cela contrastait avec la
banquette arrière, où les derrières de tête de mes parents constituaient mon
seul panorama. Je ne savais pas, hélas,
à cette époque, que la banquette avant constituait une avancée vers l’âge
adulte et les responsabilités.
À l’heure
où j’écris ces lignes, j’en ai passé des années sur la banquette avant, des
années à piloter ou à co-piloter, à prendre en charge, à décider, à organiser.
De cette tour de commandement, j’en ai géré des collations, des déchets, des
arrêts pipis, des chicanes, des jeux débiles pour passer le temps.
Mais
récemment, j’ai opéré un retour vers la banquette arrière. À 45 ans, me voilà
assise à l’arrière de ma propre voiture avec mon benjamin, alors que mon aîné
conduit guidé par les sages conseils de son paternel. La détente totale ! Comme
si le fait d’être reléguée au second rang évacuait du même coup une partie de
ma charge mentale. Je suis confortablement assise sur mon siège, ma tête
reposant mollement sur le dossier, les yeux mi-clos, la respiration calme, le
sourire souverain. Je ne suis plus responsable de rien ; j’ai 14 ans et je suis
dans le moment présent. Carpe Diem. Namasté. Inch allah. Non seulement je
ne peux interférer d’aucune façon avec la conduite de mon aîné, mais mon chum n’est
pas non plus en mesure de me mitrailler de ses questions sérieuses et
ennuyantes, très efficaces pour me déclencher une migraine. Encore mieux :
personne ne me parle. Mon plus jeune a ses écouteurs visser aux oreilles, mon
plus vieux surveille la route et mon chum surveille mon plus vieux. Personne ne
se soucis de moi et personne ne me demande rien. Un rêve.
J’ai
tellement aimé mon expérience de banquette arrière que, quelques jours plus
trad, alors que je me dirige vers la voiture avec mon chum et mon plus jeune,
celui-ci me demande s’il peut s’assoir devant et je m’entends répondre : « Mais,
bien sûr, mon grand ! ». Cette fois, non seulement je suis assise à l’arrière,
mais j’y suis seule ! Je m’étire les
jambes. J’ouvre ma fenêtre. Je sors ma main et teste la résistance de l’air
comme lorsque j’avais huit ans. J’entends des bruits indistincts de
conversations à l’avant, je ne peux deviner de quoi ils parlent et cela me
réjouis, car c’est sûrement sans importance. Je me laisse conduire et laisse le
poids du monde aux autres.
Ce qui
m’inspire cette petite philosophie à cinq cennes : je devrais me mettre
plus souvent en mode banquette arrière. Tsé, le fameux lâcher prise.
Laisser les autres décider, pour une fois, suivre la vague, être dans le moment
présent, se permettre d’avoir 14 ans, les boutons d’acné en moins et les taches
de vieillesse en plus.