À la maison, on a notre mur
des morts. Ou plutôt, notre côté de frigo des morts : on y a épinglé tous
les signets commémoratifs des personnes de notre entourage décédées récemment.
Le plus ancien, celui de notre ami Alain, remonte à 2011, l’année où mon plus
jeune fils est né, et le plus récent est celui de mon beau-père, décédé en 2023.
Ils sont là, sur leur côté de frigo, et me regardent lorsque je brasse ma sauce
à spaghetti ou que je tourne mes œufs en essayant de ne pas crever le jaune. J’aime
bien les avoir près de moi pour accomplir ces petits gestes du quotidien, j’y
trouve un certain réconfort.
Mais,
la fin de semaine dernière, j’ai fait un genre de saut dans l’avenir qui m’a un
peu perturbé. Ma famille et moi sommes allés visiter une amie de longue date de
mon amoureux. Mon amoureux est plus vieux que moi, il approche désormais la soixantaine,
son amie également, et le mari de celle-ci a déjà franchit le cap des
soixante-dix ans. Donc, leur couple constitue en quelque sorte une vision de
mon amoureux et moi dans une dizaine d’années. L’une des premières choses que j’ai
remarquée chez eux, c’est un panier en osier, posé sur le buffet de la salle à
manger et contenant une multitude de signets commémoratifs. Un panier rempli de
mort. Il y en avait tout un bouquet. J’ai alors partagé à nos hôtes que, chez-nous,
les morts étaient sur le frigo. Ils me répondirent que c’était pareil pour eux
avant, mais que maintenant il y en avait trop, d’où le l’idée du panier.
Mes doigts s’agitèrent dans leur panier ; je manipulai les
signets, regardai leurs morts. C’est vrai qu’ils étaient nombreux. Je ressentis
soudain un vertige et dû m’éloigner du panier. Je me demandais à partir de
quand nous connaîtrions plus de gens morts que vivants. J’avais l’impression
que nos amis étaient à la croisée des chemins. Bientôt, leur panier serait plus
garni que leur cercle social. Et je me dis que, dans dix ans, nous ferions peut-être
le même constat.
J’imagine
un couple dans la jeune vingtaine avec son panier vide, ou peut-être garni d’un
ou deux grands-parents esseulés. Puis, les années passent et les signets s’accumulent
; un oncle, une tante, une mère, un père, un enseignant, un frère, une sœur,
des amis, un amour, jusqu’à ce que le panier déborde et que ces êtres de papiers
ne soient plus que nos seuls liens, nos dernières relations.
Le panier m’obsède. Il est un symbole qui me dépasse. Un
panier de morts, mais qui témoigne d’un parcours de vie. La vie comme une
succession de deuils. Et plus on vieillit, plus les deuils s’accumulent, les
petits comme les grands. Viendra le jour où nous serons des endeuillés permanents,
parce que les pertes et les absences auront pris toute la place et, à ce moment-là,
peut-être serons-nous prêts à tirer notre révérence, un sourire serin aux
lèvres.
J’aime bien ton dernier paragraphe Andréanne. La vie est vraiment une succession de deuils comme l’illustre Beckett dans sa pièce de théâtre « En attendant Godot » , Elles accouchent sur des tombes. Ça met en évidence l’éphémérité de la vie. Cela varie énormément en fonction des espèces, mais nous sommes la seule à nous en rendre compte.
RépondreEffacerDans quelques jour, je deviendrai un octogénaire qui avait déjà
commencé à sentir l’accumulation des deuils dans son corps, dans sa tête, sauf dans son cœur. Deuils de la beauté, de la force , de l’endurance, de l’agilité, de la souplesse des articulations, de la mémoire à court terme, etc., etc.
Malgré les mal à tout et les inquiétudes fréquentes, nous n’avons d’autres choix que d’accueillir notre destin avec sérénité et de nous ajuster progressivement jusqu’à notre deuil final.
Garde-moi une place dans ton panier…🫠
Deuil du corps et de la tête, mais non du coeur❤ Il est tenace, celui-là. Une place dans mon panier et dans ma vie❤
Effacer